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Infections, pathologies, maladies dans le cadre de la grossesse

Publié le 07 jan 2021Lecture 7 min

Que peuvent les modèles de diffusion de la Covid-19 ?

Propos recueillis par G. LAMBERT

Depuis le début de la pandémie, les modèles épidémiologiques ont accompagné les décisions publiques tout en étant largement diffusés par les médias. Quels sont ces modèles et quelle valeur leur accorder ? Les réponses de Juliette Rouchier (directrice de recherche au CNRS, économie et environnement) spécialiste des simulations agents.

Publié en octobre 2020 dans Pédiatrie Pratique

Pouvez- vous définir la simulation agents et nous dire en quoi elle s’applique à la diffusion des épidémies ? Juliette ROUCHIER – Lorsque nous fabriquons un modèle nous construisons un monde artificiel dans lequel chaque agent est un programme qui interagit avec les autres en échangeant des informations, des biens, des opinions, etc. ou, dans le cas d’une épidémie, en transmettant le virus, qui est un code informatique. Nous pouvons ainsi étudier sa diffusion dans une population. Les autres modèles largement utilisés pendant la crise sont les modèles à compartiments. Le plus simple d’entre eux est connu sous le nom de SIR car il définit trois états pour chaque agent (Susceptible, Infecté, Remis ou immunisé), mais certains intègrent d’autres compartiments. La simulation consiste alors à appliquer à cha que pas de temps une probabilité pour chaque population d’un compartiment de passer à l’état suivant. Certains de ces modèles sont des modèles agents dans lesquels les individus et leurs interactions sont représentés, mais le plus souvent ce sont des modèles agrégés probabilistes (encadré). Sur quoi ont porté les controverses au début de la crise à propos du modèle Ferguson de l’Imperial College qui a influencé les décideurs en Europe et aux États-Unis ? J. ROUCHIER – Neil Ferguson a repris un modèle agents complexe conçu pour la grippe dans lequel toutes les populations étaient à risque. Pour faire nos simulations, nous avons besoin d’importantes quantités de données, par exemple pour attribuer une valeur au R0, à la probabilité de transmettre le virus lorsque deux agents se rencontrent, au risque de décès, pour construire les réseaux de rencontres, etc. Dans son modèle, Ferguson a considéré que les contaminations survenaient en proportions égales au travail, en milieu scolaire, en famille et dans la communauté. Or la réalité des interactions a un immense impact sur la dynamique de diffusion qui peut aller, selon les modèles, du simple au double dans le court terme. Expliquer, prédire, aider à la décision, un modèle peut-il satisfaire à tous ces objectifs simultanément ? J. ROUCHIER – Je pense que les modèles agents ne sont pas faits pour prédire mais pour expliquer les possibles. En d’autres termes, l’analyse quantitative de ces modèles n’est pas appropriée, leur approche structurelle est plus pertinente. Ils peuvent mettre en évidence des effets contradictoires qui montrent que ce que nous avions imaginé en passant du micro (comportement des agents) au macro (population) se révèle faux. Si nous avions des données fiables, la valeur prédictive des mo dèles SIR pourrait être intéressante à une échelle régionale, en précisant toutefois le degré d’incertitude qui peut induire une large gamme de prédictions Un modèle est-il conçu pour répondre à une question précise, par exemple l’impact de la mobilité des citoyens sur la dynamique de l’épidémie ? J. ROUCHIER – Oui, tout à fait, c’est une bonne question car elle implique la représentation spatiale. Comment gérer les « superspreaders » qui ont de nombreuses relations avec d’autres agents, est un autre exemple de question pertinente pour un modèle agents ; elle a d’ailleurs été traitée par Gianluca Manzo pendant l’épidémie de la Covid-19. Mais nos modèles ne peuvent pas répondre à toutes les questions. Un modèle dépend de la qualité des données et des hypothèses introduites, mais il suppose aussi d’ignorer certains paramètres qui pourraient le modifier. cette exclusion est-elle aussi importante que le choix des critères retenus ? J. ROUCHIER – Oui et c’est pour cela que nous devons être prudents. Le choix des données et des hypothèses ne relève pas strictement de la démarche scientifique mais de l’intuition du chercheur expérimenté. Beaucoup de connaissances doivent être mobilisées au service de cette sélection parce qu’aucune méthodologie ne peut la valider scientifiquement. Il faut arriver à distinguer ce qui est générique dans tous les modèles de diffusion et ce qui est spécifique pour évaluer la diffusion d’un virus particulier dans un contexte précis. D’autant qu’un résultat s’approchant de la réalité ne signifie pas que le modèle en est une représentation exacte. J. ROUCHIER – En effet, on ne peut jamais l’affirmer et cela est vrai d’une manière générale en scien ces, sinon il n’y aurait jamais de révolution scientifique. Toutefois pour la décision publique, la question est de trouver l’approximation suffisante, le modèle qui est utile même si on sait qu’il est faux. Pourquoi préférer un modèle simple, peu précis, à un modèle comportant plus de critères et s’approchant ainsi plus de la réalité ? J. ROUCHIER – C’est en effet ma vision de la modélisation agents, surtout lorsqu’il s’agit d’aide à la décision. Elle n’est pas partagée par l’ensemble des membres de ma communauté et elle n’est pas prouvée scientifiquement. Les représentations agents complexes intègrent de multiples paramètres et sont très sensibles à la variation de chacun d’entre eux. Ils peuvent entraîner une accumulation d’erreurs difficiles à identifier. C’est pourquoi ils ne sont pas souvent utilisés pour la prédiction, mais par exemple pour co-construire avec des communautés leur représentation du système dans lequel ils évoluent. Pourtant ces modèles complexes ont le vent en poupe, ils séduisent et permettent d’obtenir des financements. Vous soulignez que l’un des intérêts des modèles est de révéler des régularités structurelles inconnues, voire contre-intuitives. Pouvez-vous préciser ce point ? J. ROUCHIER – Un exemple de propriété structurelle contreintuitive qui me semble parlant est celui de la polarisation. Si dans un modèle d’influences sociales, la seule propriété des agents est de vouloir se ressembler, on constate que l’on produit de la séparation, des populations se séparent et se polarisent. Dans notre livre, nous avons mis en évidence un effet inattendu : dans un confinement, il vaut mieux que 30 % de la po pulation continue à travailler plutôt que 20 %, les contaminations se répartissent différemment et il y a au total moins de malades dans l’épidémie. Vous défendez l’idée qu’il est nécessaire, pour la décision en santé publique, d’utiliser plusieurs modèles éventuellement réalisés par des personnes issues de diverses spécialités. Pourquoi ? J. ROUCHIER – Parce que je pense que la confrontation est nécessaire et cela commence dès le cadrage des questions posées, chaque discipline les formulant de façon différente. En sciences, une recherche qui a des chances d’aboutir commence par des questions correctement posées. Un léger changement de paramètre d’un modèle peut modifier la dynamique de l’épidémie, et avec les mêmes paramètres plusieurs histoires peuvent émerger d’une simulation à l’autre. cela confirme-t-il la dimension intrinsèquement stochastique d’une épidémie ? J. ROUCHIER – Non, parce qu’avec certains espaces de paramètres la simulation donne toujours le même résultat, alors qu’avec d’autres on aboutit à des situations incertaines, on dit qu’il y a une dépendance au chemin. Nous avons testé le modèle suédois en fonction de divers paramètres, notamment le nombre d’agents qui respectent les re - commandations et le fait de connaître son statut de malade pendant la période d’incubation. Si le premier agent infecté n’est pas raisonnable, qu’il ne respecte pas les recommandations, on se trouve dans une situation où l’épidémie va, par exemple, se déclencher 1 fois sur 100. Un petit événement peut alors modifier le chemin suivi par la simulation. C’est une propriété générale des modèles dynamiques, ils peuvent être indépendants ou dépendants du chemin, et dans ce dernier cas il y a indétermination. Dans une épidémie, la configuration de départ est cruciale, elle peut mener à la diffusion ou à l’extinction. La modélisation repose-t-elle sur un aller-retour entre le modèle et l’observation de la réalité ? J. ROUCHIER – En effet, les modèles de simulation sont des modèles d’expérience in silico et, à ce titre, ils suivent une dé - marche expérimentale avec un aller-retour entre la réalité et le modèle. On peut les considérer comme un laboratoire dans lequel on crée une forme de réalité qu’il faut savoir interpréter. Au total, le modèle le plus fiable sera celui qui sera élaboré dans 2 ans avec des données fiables. J. ROUCHIER – Oui, mais nous n’en aurons plus besoin pour la présente crise. Ce sera en re van - che le moment de produire un modèle générique avec des paramètres structurels (incubation, contagiosité, acquisition de l’immunité, population vulnérable, etc.) adaptables à d’autres émergences épidémiques.

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