Publié le 15 mai 2024Lecture 10 min
Le soleil, l’enfant et la femme enceinte
Clarence DE BELILOVSKY, Épernon & Sophie GUILLAUME, Bastia
Risques liés à l'exposition aux rayons UV, processus d'apparition du cancer de la peau, réflexes de prévention infantile et de la femme enceinte : voici les points abordés dans cet article à l'approche de l'été.
Clarence de Belilovsky1, Sophie Guillaume2
Dermatologue, Institut Fournier Paris, Epernon
Sage-femme coordonnatrice en Maïeutique, Cadre de pôle Mère-enfants, Centre Hospitalier de Bastia
Un petit rappel et quelques informations à propos du spectre solaire
Le spectre solaire qui arrive sur terre est composé pour 50 % de rayonnements visibles (longueur d’onde 400-700 nm), pour 40 % d’Infra-rouges (>700 nm), pour 10 % d’ultraviolets (290-400 nm) comprenant majoritairement les UVA (95 %) (320-400 nm) et un peu les UVB (5 %) (290-320 nm).
Le soleil provoque des altérations des cellules épidermiques (kératinocytes et mélanocytes) et un déficit de l’immunité. Les UVB sont surtout responsables des coups de soleil, du bronzage et des cancers cutanés et les UVA provoquent surtout un stress oxydatif et le vieillissement cutané (mais participent un peu aux cancers). La lumière visible participe à l’hyperpigmentation (par exemple masque de grossesse), et les infrarouges à la chaleur cutanée (risque de coup de chaleur chez le bébé).
Des expositions solaires prolongées durant de multiples années provoquent surtout des carcinomes (issus des kératinocytes) sur les zones découvertes (visage, crane, haut du dos) à long terme. L’effet est cumulatif. Des expositions solaires intenses, intermittentes avec des coups de soleil, provoquent surtout des mélanomes (cancers pigmentés issus des mélanocytes), parfois chez les sujets jeunes. Ces mélanomes peuvent surgir spontanément ou provenir de la transformation d’un grain de beauté. Comme la peau a une mémoire, des coups de soleil pendant l’enfance peuvent provoquer un mélanome à l’âge adulte.
Normalement, nous avons un système de réparation de l’ADN des cellules : c’est la protéine p53 qui agit comme un garagiste : soit elle répare si les dégâts ne sont pas trop importants, soit elle élimine. Mais, lorsque les lésions cellulaires causées par le rayonnement solaire sont trop nombreuses (on les appelle les Sunbrun Cells ou cellules Coups de soleil), le « capital solaire » s'épuise et le système de réparation P53, est à la fois surchargé et inefficace (il a une mutation) ; il n’est plus en mesure de réparer les cellules endommagées : elles s’accumulent et c’est le début du processus de cancérisation de la peau.
Les bienfaits du soleil sont la synthèse de vitamine D fixant le calcium sur les os (10 minutes d’exposition au soleil par jour d’une zone limitée permettent à l’organisme de synthétiser suffisamment de vitamine D) et la sensation de bien-être via la synthèse de mélatonine.
L'intensité des UV varie en fonction des saisons, du moment la journée et de l’environnement. L’index UV, très largement diffusé dans les médias, est utile pour savoir comment se protéger (cf SCHEMAS)
La photoprotection naturelle de la peau
Nous ne bronzons que lorsque notre patrimoine génétique (ADN) est attaqué : il s'agit d'un système de défense. Cette capacité de synthétiser de la mélanine à partir des mélanocytes a pour but de nous protéger varie en fonction du phototype (il en existe 6), lequel est déterminé selon la couleur de la peau, des cheveux et des yeux (cf TABLEAU).
Cependant, cette capacité n'est pas suffisante. Il est donc nécessaire d’utiliser une protection solaire en tenant compte de différents critères (ensoleillement, saison, âge de l’enfant, phototype).
PHOTOTYPES
Réaction au soleil
Couleur de peau
Couleur des cheveux
Couleur des yeux
1
ne bronze pas, attrape systématiquement des coups de soleil
très claire, taches de rousseur
blonds ou roux
clairs, bleus ou verts
2
bronze difficilement, attrape souvent des coups de soleil
peau très claire, des taches de rousseur apparaissent au soleil
blonds ou châtain
clairs à marron
3
a parfois des coups de soleil, bronze progressivement
claire
blonds ou châtain
noisette à marron
4
attrape peu de coups de soleil, bronze bien
mate
châtains ou bruns
foncés
5
a rarement des coups de soleil, bronze facilement
foncée
bruns
foncés
6
n'a jamais de coups de soleil
très foncée
Bruns ou noirs
noirs
(Fitzpatrick TB. The validity and practicality of sun-reactive skin types I through VI. Arch Dermatol 1988; 124:869–71.)
Les risques de l'exposition au soleil pour la peau des enfants
80 % des cancers de la peau chez l’adulte touchent les zones qui ont été exposées au soleil. Or, les enfants sont exposés au soleil de manière excessive
En été, les enfants passent 3/4 de leur temps au soleil. Ils passent une grande partie de leur journée à l’extérieur, notamment à l’école lorsque l’indice UV est le plus élevé. Leur exposition annuelle au soleil est 2 à 3 fois supérieure à celle des adultes. À l’âge de 18 ans, une personne atteint environ 25 à 50 % de son exposition totale au soleil. En France : 33 % des enfants et 62 % des adolescents subissent une exposition excessive au soleil pour leur type de peau
La peau des enfants est plus sensible au soleil (généralement < 3 ans).
-Son système de défense de la peau est immature
-Son épaisseur est inférieure à celle d’un adulte.
-Sa fonction de barrière protectrice est insuffisante.
Légende de l’illustration : la structure de l’épiderme de 3 mois est + altérée que celle de l’adulte et on note + de sunburn cells (flèches noires)
La peau a une mémoire : Malheureusement, les lésions dues au soleil pendant l’enfance peuvent avoir des conséquences visibles à l’âge adulte : Augmentation du nombre de grains de beauté, survenue d’un mélanome malin (le risque est 4 fois plus élevé lorsque l'exposition a été élevée pendant l’enfance), carcinomes. On estime que l'application régulière d’une crème solaire pendant l’enfance réduit de 80 % le risque de développer un cancer de la peau.
La photoprotection de la peau de l’enfant avec des produits solaires
Un facteur de protection (SPF) 50+ pour les UVB avec un rapport pour les UVA >1/3 du SPF indiqué sur l'étiquetage est recommandé quel que soit le type de peau. En effet ce n’est pas trop car, en pratique, c’est moins de la moitié de la quantité recommandée qui est appliquée ! Utiliser un produit résistant à l’eau.
Il faut penser à crémer les enfants avant de partir : 98 % des familles appliquent un
écran solaire dans les 9 à 51 minutes suivant leur arrivée sur la zone ensoleillée. Evidemment renouveler la crème toutes les 2 heures. L’application d’un écran solaire ne doit pas augmenter la durée d’exposition au soleil.
Choisir entre des écrans solaires contenant des principes actifs physiques ou chimiques ?
En fin de compte, il s'agit d'une question de préférence chez les consommateurs. Ils sont testés selon les mêmes normes et soumis aux mêmes obligations réglementaires pour garantir des formulations sûres et efficaces. Le meilleur choix est une protection solaire à large spectre avec un indice SPF de 30 ou plus.
Les réglementations européennes sur les produits cosmétiques ont établi une liste des 29 filtres pouvant être contenus dans les produits de protection solaire avec des concentrations maximales et conditions d'emploi pour chacun d'entre eux. Deux sont des filtres minéraux (dioxyde de titane et oxyde de zinc) et le reste des filtres chimiques. Parmi les filtres chimiques, Diéthylamino hydroxybenzoyl hexyl benzoate, Éthylhexyl triazone, Diéthylhexyl butamido triazone et Bis-éthylhexyloxyphénol méthoxyphényl triazine ont une excellente tolérance et peuvent être utilisés dès la naissance.
D’un point de vue dermatologique, plusieurs filtres chimiques possèdent un risque d’allergie cutanée (P. Phadungsaksawasdi et al. Pediatric Dermatology. 2020;00:1–5) TABLEAU. Ainsi par exemple, si une personne a fait une allergie a un filtre de type octocrylène ou benzophénone, elle ne pourra plus jamais appliquer de gel anti-inflammatoire à base de kétoprofène.
Chaque catégorie (minéraux et chimiques) est considérée comme sûre avec des questionnements pour chacune.
Pour obtenir une galénique/texture acceptable et avoir la meilleure efficacité, les filtres purement minéraux sont sous forme de nanoparticules, lesquelles sont notamment questionnées sur leur pénétration à travers la peau. Or, la majorité des études in vitro (réalisées sur les peaux animales et humaines) et in vivo ont montré que les nanoparticules de ZnO et de TiO2 ne pénètrent pas ou seulement de manière minimale dans la couche cornée. Cela donne à penser qu’une absorption systémique entraînant une réponse toxique est très peu probable. (S Henderson Public Health Research & Practice mars 2022; 32:e3212205 M Sander CMAJ 2020; 14;192:E1802-8). Ils sont les seuls filtres permettant une certification bio à date.
L’absorption des filtres chimiques est également questionnée. Cependant, l’application de produits à base de filtres chimiques n’a jamais montré de trouble clinique significatif dans aucune étude. Certains filtres solaires (Benzophenones et Octocrylène), ont été identifiés comme susceptibles d'être à l'origine de perturbations endocriniennes. Une récente revue systématique a conclu qu’il n'y avait pas suffisamment de preuves pour étayer une relation causale entre leurs taux sanguins des résultats indésirables sur la santé. (S Henderson Public Health Research & Practice mars 2022; 32:e3212205 M Sander CMAJ 2020; 14;192:E1802-8).
D’un point de vue environnemental, l’accumulation de certains filtres pourrait amener au blanchiment et à la mort des coraux. L’état d’Hawaï aux USA a promulgué une loi qui interdit déjà 2 filtres chimiques controversés (oxybenzone, octinoxate) suspectés d'entraîner le blanchiment des coraux, ceci afin de protéger la biodiversité. Les experts discutent la part relative des filtres et celle de l’augmentation de la température et de la salinité des océans dans ce phénomène (U Khanna. J Eur Acad Dermatol Venereol. 2023;37:e314–e315).
Les produits solaires pour enfants doivent contenir le minimum de filtres, être sans parfum et résister à l’eau. Les filtres doivent être rigoureusement choisis pour leur meilleure tolérance, leur efficacité conjuguée et leur possibilité d’utilisation dès la naissance.
La photoprotection pendant la grossesse
Pendant la grossesse, le principal risque pour la peau est celui de l’hyperpigmentation, en particulier le masque de grossesse du visage. Son origine est multifactorielle :
-Facteurs internes : facteurs hormonaux (œstrogènes, progestérone, MSH, ACTH)
-Facteurs externes : environnement (UVB, UVA, lumière visible, IR, pollution)
-Facteurs irritants : dermatite de contact, procédures esthétiques
-Facteurs génétiques : famille (40-60 % au 1er degré vs 15-25 %)
-Facteurs ethniques : phototype (asiatique, hispanique, phototypes 3 à 5)
L’exposition solaire joue un rôle de déclencheur avec l’ensemble du spectre solaire qui est en cause. Une prévention est indispensable car le traitement du mélasma n’est pas toujours efficace, avec de nombreuses rechutes à chaque exposition solaire, même minime. La protection idéale est à très large spectre anti UVA, UVB, lumière visible (longueurs d’onde plus courtes), IR (infrarouge) avec par exemple une protection solaire teintée.
Le reste du corps doit être protégé également. La protection vestimentaire sera toujours préférée. Les précautions pour la sélection des filtres solaires est la même que pour les enfants. Pour les autres ingrédients des crèmes solaires, se référer à l’article sur le décryptage de la liste INCI (lien).
Les meilleures pratiques en matière de photoprotection
-Porter des chapeaux à bords larges et des vêtements aux mailles serrées aérés ou spéciaux protégeant contre les UV.
-Se mettre à l’ombre et utiliser des ombrelles et des pare-soleil pour poussette
-Limiter l’exposition au soleil entre 10 h 00 et 16 h 00
-Le produit de protection solaire doit être appliqué 30 minutes avant d'aller à l’extérieur
-Appliquer la quantité appropriée (2 mg/cm2)
-Réappliquer toutes les 2 heures et après avoir été dans l'eau, avoir transpiré, fait de l'exercice physique et s'être séché à l'aide d'une serviette
-De petites quantités de produit de protection solaire peuvent être appliquées sur les zones exposées au soleil chez les nourrissons si l’exposition au soleil ne peut pas être évitée
Il faut être conscient des informations erronées que l'on peut trouver en ligne sur les avantages et les risques de l’utilisation d’un produit de protection solaire : elles sont variables et incomplètes. Les habitudes, les connaissances et les attitudes des parents et des grands-parents à l’égard du soleil ne sont pas satisfaisantes non plus.
En cas de coup de soleil, des précautions spécifiques s’imposent.
S’il s’agit d’un coup de soleil superficiel, qui se manifeste par des rougeurs, une sensibilité, et des sensations de brûlure, donner un bain tiède à son enfant, puis appliquer une crème cicatrisante en couche épaisse. Le coup de soleil devrait disparaître en 24 à 48h. Et bien sûr, éviter de l’exposer au soleil les jours suivants.
S’il s’agit d’un coup de soleil sévère, qui se manifeste par des cloques, ou alors en cas d’insolation, dont les symptômes sont de la fièvre, des maux de tête ou des frissons, consulter un médecin.
Conclusion
Il est essentiel de protéger la peau sensible des enfants contre les effets néfastes du soleil. Il est essentiel de sensibiliser les enfants ainsi que les proches à la mise en œuvre de mesures de protection solaire cohérentes, y compris l’utilisation d’un produit de protection solaire, pour prévenir les dommages causés par le soleil. Cette approche préserve non seulement leur peau, mais cultive également des habitudes plus saines qui contribuent à leur bien-être à long terme.
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