Recommandations et attitude pratique
Publié le 02 oct 2024Lecture 7 min
Les enjeux éthiques en unité néonatale
Laura BOURGAULT, Nantes
La réanimation néonatale pose de nombreux enjeux éthiques pour les professionnels de santé. Consentement aux soins, obstination déraisonnable, principe de non-malfaisance, collégialité, intérêt supérieur de l'enfant : zoomons ensemble sur les différentes notions convoquées autour des tout-petits nés en situation de détresse circulatoire, neurologique, présentant pour certains des lésions cérébrales associées à de graves pronostics.
Pendant les phases pré et périnatales, dans le cas de menaces d’accouchement prématuré ou d’asphyxie périnatale par exemple, la particularité des situations tient au fait que le foetus fait partie intégrante du corps de la femme qui, si son état de santé lui permet, doit pouvoir consentir à “toute décision médicale en rapport avec le fœtus, extraction précoce ou traitement in utero”, étayent les auteurs d’un article sur le sujet publié dans les colonnes d’Elsevier (1)
Après la naissance, différentes situations sont associées à une prise en charge du nouveau-né en réanimation néonatale :
la détresse neurologique entraînant de graves lésion cérébrales laissant les médecins poser le diagnostic d’un handicap sévère si les lésions devaient persister ou en cas de malformations
la prématurité extrême pour les nouveau-nés nés entre 22 et 26 SA + 6 jours ou ceux pesant moins de 1 000 grammes
les cas de réanimation circulatoire
les cas d’hypothermie
L’évolution de l’éthique dans les services de réanimation néonatale
La notion d’éthique dans les services de néonatalogie a évolué dans les années 90, alors que le rapport à la fin de vie a été considéré sous un autre angle par le corps médical : celui du possible questionnement de la limitation des soins de réanimation. Ainsi, il y a encore 35 ans, les réanimations étaient entreprises systématiquement sur des nouveau-nés voyant le jour au-delà de 24 ou 25 SA. “L'attitude en salle de naissance était motivée par un a priori de vie et le principe de la réanimation d'attente. Tous les moyens disponibles étaient mis en œuvre pour réanimer le nouveau-né. Dans un deuxième temps, la situation clinique et en particulier les lésions neurologiques étaient évaluées régulièrement. En cas de pronostic très péjoratif, on estimait qu'il était envisageable d'interrompre la prise en charge active”, poursuivent les auteurs. Il y a encore peu de temps, ces stratégies de réanimation ne laissaient pas de place à la position des parents, et supposaient une information partielle donnée aux couples étant donné la possibilité d’une dégradation de la situation et d’un sentiment de culpabilité associé.
Puis dans les années 2000, la Fédération nationale des pédiatres néonatologistes a publié de nouvelles recommandations (2) édictant le principe de non-malfaisance : prodiguer des soins de réanimation en connaissance de cause, au nom du respect de l’intégrité et de la qualité de vie. « Une telle attitude, trouve son fondement dans le fait qu'elle privilégie l'intérêt supérieur de l'enfant et le principe de non-malfaisance, dans le fait qu'en l'absence de réanimation initiale ces enfants n'auraient pas survécu, et dans le fait que la réanimation initiale n'aurait probablement pas été poursuivie si les lésions avaient pu être observées plus tôt. »
Les soignants, médecins réanimateurs, pédiatres, infirmiers, aides-soignants, auxiliaires de puériculture et psychologues, en lien avec les parents connectés à cette bulle de soins 24h/24, composent autour de différents enjeux éthiques. Le principe de non-malfaisance et l’intérêt supérieur de l'enfant sont des approches centrales dans l’éthique clinique en néonatologie. Ces dernières “sont fondées sur la prise en considération du résultat à plus ou moins long terme au regard du poids des traitements”, rappellent les auteurs de l’article publié sur Elsevier. Il s'agit d'évaluer l’impact de gestes techniques et invasifs, “la charge des traitements, c'est à dire la somme des souffrances et des difficultés imposées à l'enfant et à sa famille, au regard de la qualité de vie attendue”.
Deux lois et des évolutions de l’éthique clinique
Cette évolution vers une tendance à évaluer systématiquement la situation avant de prodiguer des soins de réanimation a abouti grâce à plusieurs facteurs :
A. La publication d’études confirmant le risque élevé de lésions neurodéveloppementales chez les nouveau-nés prématurés nés avant 25 SA, remettant en question le seuil de viabilité des 24/25 SA
B. L’évolution du cadre législatif avec le vote de deux lois, celle du 4 mars 2022 renforçant les droits des patients, le respect de leur volonté, leur information claire et loyale. Au cœur des situations délicates en réanimation néonatale, l’échange, l’écoute et l’information faite auprès du couple, des parents doivent rester au centre de la prise en charge. Encore plus quand des actes très techniques, aux résultats parfois incertains, vont être prodigués. Encore plus quand l’état de santé du tout-petit peut évoluer dans un sens où dans l’autre et ce très rapidement. La loi du 22 avril 2005 porte, elle, sur les droits des malades et la fin de vie.
Ces deux lois établissent deux points précis déclinés dans les services de réanimation de néonatalogie :
la notion de consentement libre et éclairé aux soins*. A noter que la loi de 2016 est venue compléter celle de 2005, en donnant notamment plus de droits aux parents et aux titulaires de l’autorité parentale : la demande possible d’une mise en place de procédure collégiale pour évaluer la situation d’obstination déraisonnable. Les médecins doivent répondre à cette demande, en prévoyant donc un temps et un espace de parole entre plusieurs professionnels pour prendre une décision de maintenir par exemple des soins dits actifs, de mettre en place une sédation profonde et continue permis par la loi de 2016. Et ce en accompagnant le tout-petit dans ses quelques instants de vie, en altérant “la conscience jusqu'au décès, même si le patient est hors d'état d'exprimer sa volonté et même si sa souffrance ne peut pas être évaluée du fait de son état cérébral”
La poursuite des seuls actes médicaux utiles, proportionnés à l’état de santé du petit patient et l’arrêt des traitements n’ayant pour effet le seul maintien artificiel de la vie. L’interdiction d’acter la fin de vie est aussi centrale dans l’approche des soignants. ” En pratique il s’agit de “ne plus pratiquer d'arrêt de vie". Même si cette notion a pu être discutée dans le projet de loi relatif à l’accompagnement des malades et de la fin de vie, jusqu’à la dissolution de l’Assemblée nationale. Même si pour certains une question se pose : “comment admettre un tel fossé juridique en cas de diagnostic de malformation sévère ou de lésions neurologiques graves dans les premiers moments de la vie ?"
Le principe de réanimation d’attente questionné
Autant d’éléments qui ont progressivement remis en question “le principe de la réanimation d’attente et conduit à une réflexion en amont sur les limites de viabilité”. Ainsi, “en 2010, les recommandations de la Société française de néonatologie (SFN) issues du groupe de réflexion indiquaient entre autres qu'en deçà d'un terme de 24 SA, les manœuvres de réanimation ne doivent pas être entreprises à la naissance.
Reste qu'il n'existe en effet “pas de valeur seuil de l'âge gestationnel à partir duquel il y aurait une franche amélioration du pronostic pour le nouveau-né”. Toutes les discussions doivent donc être menées “au cas par cas entre l'équipe médicale et les parents. Et déboucher sur une prise en charge individualisée en anténatal et en postnatal en tenant compte, outre de l'âge gestationnel, de tous les éléments pronostiques disponibles et de l'opinion des parents”.
Dans le cas où la réanimation n’est pas envisagée ou quand l’arrêt des traitements est préconisé, des soins palliatifs sont déployés dans le respect de la dignité. Auprès de tous les petits patients en néonatalogie, “des soins de confort doivent toujours être mis en œuvre pour accompagner le nouveau-né”. Seront mis en place en fonction des besoins l’accès aux analgésiques et à la sédation, une protection contre l’hypothermie, une adaptation du dispositif d’hydratation** et de nutrition, du cocooning et du nursing pour le positionnement du bébé (exposition à la lumière, au bruit), un environnement dans lequel les parents ont une place.
*sauf situation relevant de l’urgence
**des situations divergentes selon les équipes qui privilégient le maintien ou l’arrêt de l’hydratation et de l'alimentation considéré comme traitement. Un point de complexité qui serait moindre si “l’exception d’euthanasie” était considérée, tout en prenant en compte les possibles problématiques associées : statut légal du nouveau-né, risque d’eugénisme
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