Publié le 14 jan 2008Lecture 12 min
Dépistage et prévention des infections sexuellement transmissibles chez les adolescents
M. PRUDHOMME, PMI de Créteil
À l’adolescence où les problèmes de santé sont peu nombreux, les professionnels de ce domaine doivent saisir toutes les occasions de parler de prévention, de faire des dépistages, et d’aider les adolescents à faire des choix pour leur protection vis-à-vis des infections sexuellement transmissibles.
La promotion des outils et une bonne accessibilité aux dispositifs de prévention (information, préservatifs, dispositif de dépistage) sont le corollaire indispensable des actions de prévention.
Les Centres de planification et d’éducation familiale (CPEF), parce qu’ils offrent des consultations gratuites aux mineurs, reçoivent beaucoup d’adolescents au cours de consultations médicales axées sur la sexualité, la contraception et le dépistage des infections sexuellement transmissibles (IST).
Ainsi, en 2005, près de 6 000 mineurs ont été reçus dans les 53 CPEF du département du Val-de-Marne. De plus, 15 000 jeunes ont bénéficié, au sein de leur établissement scolaire, d’interventions des équipes des CPEF autour des questions de « vie relationnelle, affective et sexualité des adolescents ».
Les CPEF jouent un rôle important dans le dépistage et le traitement des IST chez les adolescents, au côté des autres dispositifs de prévention.
Organisation du dépistage et de la prévention des IST en France
La nouvelle loi d’orientation pour la santé publique, adoptée en août 2004, a redéfini des priorités en matière de lutte contre les IST et le VIH/sida, et une nouvelle organisation des dispositifs de prévention.
La lutte contre les IST, qui était une compétence des Conseils généraux depuis les lois de décentralisation de 1983, est devenue au 1er janvier 2006, une compétence de l’État. Une volonté de cohérence avec la lutte contre le VIH est clairement affichée, et les orientations en matière d’infections sexuellement transmissibles sont intégrées dans un programme unique « VIH/sida et IST ». Le programme 2005-2008 intègre donc la stratégie de prévention, l’information sur les IST de la population générale et l’incitation au dépistage auprès de groupes cibles qui varient en fonction de l’IST considérée(1).
Trois dispositifs anonymes et gratuits
sont mis à la disposition de tous les publics
• les CIDDIST (Centres d’information, de dépistage, de diagnostic des IST) ;
• les CDAG (Centres de dépistage anonyme et gratuit) ;
• les CPEF (Centres de planification et d’éducation familiale).
Ces structures ont à la fois compétence pour l’accueil du public et pour le dépistage des IST et du VIH. Elles ont également un rôle dans la prévention et l’organisation d’actions collectives.
La communication, l’élaboration et la diffusion d’outils, assurées dans le passé par le CFES, sont désormais en charge de l’INPES qui assure aussi le pilotage de Sida Info Service (association de lutte contre le VIH, les hépatites et les IST). L’Institut national de veille sanitaire (InVs) assure une mission de veille sanitaire et de suivi épidémiologique des infections.
Aujourd’hui, la distinction classique entre prévention primaire, secondaire et tertiaire commence à être remplacée par les notions de prévention généralisée (ou universelle) destinée à la population générale, de prévention sélective qui concerne des groupes présentant généralement des facteurs de risques sociaux, et de prévention indiquée qui s’adresse à des individus présentant des facteurs de risque observables au niveau de l’individu(2).
La prévention généralisée vis-à-vis des IST
Les actions collectives de prévention, en milieu scolaire notamment, sont basées sur le concept de l’éducation à la santé qui vise à favoriser une modification des comportements vers plus de rationalité face aux risques pour la santé. Pour cela, elle s’appuie sur différents « ressorts » :
– l’acquisition, le renforcement ou la modification des connaissances sur la santé, ainsi que certains savoir-faire (ex. : savoir mettre un préservatif) ;
– l’utilisation de ces connaissances dans diverses situations, le savoir-être (gérer les risques, négocier avec son partenaire…) ;
– faire s’exprimer les croyances et les représentations, car elles peuvent permettre d’expliquer l’adoption de tel ou tel comportement en rapport avec la santé, ou la capacité que chacun pense avoir de pouvoir agir sur sa propre santé. Dans le cas de la transmission du virus du sida, par exemple, certains jeunes se disent « qu’il n’y a aucune raison que cela leur arrive car ils font attention au choix de leur partenaire » ;
– permettre l’expression des différentes valeurs, attitudes, conduites, opinions, mentalités…, pour ainsi approcher les différents « acquis » d’un individu et sa propre culture.
L’éducation à la santé vise à favoriser une modification des comportements vers plus de rationalité face aux risques.
L’éducation à la santé s’attache à développer des compétences psychosociales qui vont donner aux jeunes la possibilité de faire des choix pertinents et mettent en jeu :
– l’estime de soi : confiance en soi, sentiment de son efficacité personnelle, sentiment que les autres ont confiance en nous ;
– le rapport au corps : compréhension des sensations provenant du corps (douleur, plaisir…), expression physique des sentiments (colère, peur…), besoins physiologiques (nourriture, sommeil…) ;
– les relations aux autres : le respect, l’acceptation des différences et des règles de la vie en société… ;
– la gestion des conflits : privilégier le dialogue en cas de désaccord… ;
– la confiance en son propre jugement : résister à l’influence des pairs, des médias…
La prévention spécifique en direction des jeunes
À côté des orientations dirigées vers tous les publics, des objectifs stratégiques spécifiques sont fixés pour des groupes ciblés. Ainsi, concernant les jeunes, les axes sont les suivants :
– intégrer la problématique des IST et du VIH dans une perspective plus large de vie affective et sexuelle ;
– sensibiliser sur le risque des IST et leurs modes de prévention ;
– poursuivre les actions en faveur de la promotion et de l’accessibilité des préservatifs en lien avec les informations en matière de contraception (prévention des grossesses non désirées à l’arrêt de l’utilisation du préservatif dans un couple stable).
La prévention indiquée des IST
La notion de prévention individuelle peut être rapprochée des notions de « facteurs de risque » et de « facteurs de protection ».
Les « facteurs de risque » entraînent une probabilité plus élevée de développer une IST ou une capacité moindre à en limiter les effets.
• Les comportements sexuels qui favorisent la survenue d’IST :
– nombre élevé de partenaires sexuels ;
– relations sexuelles non protégées avec des partenaires occasionnels.
• Les comportements qui limitent le recours aux soins, incapacité à :
– reconnaître les signes d’une infection ;
– consulter en cas de suspicion d’exposition ;
– suivre un traitement jusqu’à son terme ;
– revenir pour s’assurer de la guérison ;
– informer ses partenaires sexuels du risque d’infection.
Chez les adolescents, des difficultés supplémentaires existent, liées à leur âge, à leur maturité, aux relations avec leur entourage et à leurs connaissances.
• Avoir conscience d’une prise de risque, c’est connaître les risques et se sentir concerné.
Par exemple, il existe souvent une grande confiance dans le partenaire et très souvent l’idée que ce premier partenaire sera celui de toute une vie. Les jeunes filles ont envie de penser au « grand amour » et pas au « risque de maladie ». C’est toute la difficulté de les intéresser en leur parlant de vie affective et de vie amoureuse, tout en les faisant réfléchir sur la responsabilité qu’implique tout acte sexuel, notamment vis-à-vis des risques de grossesse et d’infection.
Avoir envie de protéger sa santé
Cela demande une certaine maturité pour aboutir à une sexualité « pensée » et non subie, agie.
Cela impose également de ne pas s’en remettre à l’autre, de pouvoir parfois résister à la contrainte de l’autre et de se sentir responsable de sa propre santé.
• Pouvoir accéder à une prévention suppose de pouvoir parler de sa sexualité et d’être à l’aise avec son corps.
Cela pose la question de la reconnaissance sociale de la sexualité des jeunes, notamment des filles, dans un contexte où elle n’est que partiellement admise, où elle dépend des normes du groupe de pairs, et où elle reste très variable selon les normes morales et éducatives en vigueur dans la famille.
• Les « facteurs de protection » sont également liés aux connaissances, mais aussi aux capacités sociales à penser sa prévention, au niveau de risque pour sa santé que l’on est prêt à admettre, à son optimisme, ses capacités de négociation, mais aussi à des conditions socio-économiques favorables comme le fait d’avoir des ressources financières, un bon système de soins…
Pouvoir accéder aux moyens de la prévention et du dépistage. Les réseaux que les jeunes peuvent mobiliser pour accéder à la prévention et au dépistage sont déterminants :
– en médecine libérale, se pose la question des frais financiers des soins ;
– les CPEF et les CIDAG sont peu connus, parfois éloignés ou inadaptés à l’accueil des jeunes ;
– les parents sont inégalement porteurs d’informations, en fonction des normes auxquelles ils adhèrent en matière de sexualité.
• Le préservatif. C’est ainsi que l’utilisation du préservatif a connu entre 1987 et 1995 une forte augmentation de son utilisation lors du premier rapport sexuel. Les femmes qui ont commencé leur vie sexuelle en 1987 n’étaient alors que 8 % à utiliser un préservatif avant de passer vers la fin des années 1990 à près de 90 %(3).
Pour autant, l’utilisation du préservatif est très contrastée. Ainsi, dans une étude réalisée dans les CPEF du Val-de-Marne auprès de jeunes filles venant demander la contraception d’urgence, seules 40 % disent toujours utiliser un préservatif, 37 % l’utilisent de façon inconstante et 23 % ne l’utilisent pas(4).
Une demande de contraception d’urgence sur deux chez les filles de moins de 18 ans est liée à un accident de préservatif.
En plus d’être inconstante, l’utilisation du préservatif est également source de difficultés (déchirures…), de retard à la mise sous pilule et de protection imparfaite en contraception. Ainsi, 33 % des jeunes filles < 18 ans ont pris la contraception d’urgence en moyenne 2 fois, dont 46 % suite à des accidents de préservatifs(4). On assiste également à un abandon rapide du préservatif dès que le test de dépistage du VIH a été effectué, sans penser au risque « grossesse ». Est-ce un effet paradoxal des messages de prévention ? Le préservatif étant avant tout vécu comme un moyen de protection contre des maladies (les IST), et non comme un moyen (un contraceptif) de choisir le moment de devenir parent.
Il est donc important d’apprendre aux adolescents à raisonner en termes de risques en fonction de la relation qu’ils ont :
• se protéger au début de toute nouvelle relation, même la première fois ;
• faire à deux les dépistages adéquats ;
• être fidèle ou utiliser à nouveau des préservatifs au moindre doute.
Les IST des adolescents en France métropolitaine
En dehors des populations qui pourraient avoir des facteurs de risques spécifiques (immigrés récents, homosexuels…), la majorité des adolescents peuvent être concernés principalement par cinq IST :
– Les infections à Chlamydia trachomatis ;
– l’herpès ;
– les condylomes et les papillomavirus humains (HPV) ;
– le VIH ou sida ;
– les infections à gonocoques.
Les infections à Chlamydia trachomatis
C’est une infection mal connue des adolescents. Pourtant, son incidence est élevée chez les moins de 25 ans : autour de 10 % chez les moins de 25 ans en CPEF ; 3,2 % chez les femmes et 2,1 % chez les hommes, selon une enquête de l’ANRS-CSF(5).
Cette prévalence élevée a amené les autorités de santé à demander à l’ANAES en 2003 de faire un rapport sur le dépistage de l’infection à Chlamydia trachomatis (Ct) en France. Ce rapport a abouti à ces recommandations :
– dépistage systématique chez les jeunes < 25 ans par PCR (urines ou endocol/urètre) ;
– traitement monodose d’azithromycine, si nécessaire.
Dans le Val-de-Marne, en 1999, une étude a retrouvé une prévalence élevée de l’infection à Ct (7,1 % ; IC 95 % : 5,5-8,7 %), associée à 3 facteurs de risques principaux :
– l’âge inférieur à 25 ans (8,7 %) ;
– l’existence d’un nouveau partenaire dans les 12 mois précédents (11,9 %) ;
– certains pays de naissance (Afrique et Caraïbes) (10,9 %).
La très grande majorité de ces infections étaient asymptomatiques (90 %) et les corrélations étaient mauvaises avec les sérologies(6).
À la suite de cette étude, il a été décidé de proposer un dépistage systématique à tous les jeunes de moins de 25 ans. Un recueil de données entre 1999 et 2004 a permis de montrer la stabilité dans le temps de la prévalence de l’infection à Ct (10,9 % ; IC 95 % : 9-14 %), avec toujours plus de 86 % d’infections asymptomatiques(7).
La très grande majorité des infections à Chlamydia trachomatis sont asymptomatiques.
L’herpes virus
On estime que 2 millions de Français sont porteurs du virus (18 % des femmes, 14 % des hommes), et que seulement 350 000 sont diagnostiqués (20 %).
Une enquête effectuée en 1998 auprès des 18-24 ans a montré qu’il s’agit également d’une maladie mal connue des adolescents(8) :
– 5,5 % la cite comme une IST ;
– 35 % pensent que l’on peut en guérir ;
– 69 % des sujets HSV2+ n’utilisent pas de préservatifs.
Les papillomavirus humains (HPV) et les condylomes
Actuellement, on estime autour de 19 % le nombre de femmes âgées de 15-19 ans porteuses d’HPV.
En France, une étude faite en 2000 par un réseau de médecins généralistes « Sentinelles » a retrouvé entre 0,5 et 1 % de condylomes acuminés externes. Vingt-deux pour cent des personnes observées avaient plus d’une localisation, et dans 38 % des cas, il existait également des condylomes internes. L’importance de l’examen colposcopique, de l’examen du partenaire et la recherche d’IST associées (présentes dans 15 %) ont été soulignés(9).
Rappelons que l’infection à HPV, et notamment de sérotypes 16, 18, 6 et 11, est un facteur de risque de cancer du col de l’utérus. Le dépistage systématique par frottis cervical a fortement fait régresser l’incidence de ce cancer. L’arrivée des vaccins anti-HPV s’attaque aux cas où ce dépistage est mal réalisé ; reste à trancher, si c’est possible, le débat portant sur la population cible à vacciner et sur l’âge auquel il faut pratiquer cette vaccination.
Le VIH ou sida
Selon les données de l’Institut de veille sanitaire, 6 700 nouveaux cas ont été diagnostiqués en 2005, dont 28,6 % de moins de 30 ans (âge moyen : 37,5 ans). On a observé :
– 51 % de contaminations hétérosexuelles ;
– 43 % de femmes dans les nouveaux cas ;
– 21 % d’homosexuels.
Seuls 30 % des 18-25 ans ont effectué un test de dépistage du VIH, d’où la recommandation d’inciter les professionnels de santé à se saisir de toutes les occasions pour proposer un test de dépistage à un jeune sexuellement actif.
Les infections à gonocoques
Bien que cette infection concerne essentiellement une population à risque, on assiste depuis 10 ans à une augmentation des diagnostics de gonococcie, avec un grand nombre d’infections asymptomatiques et une augmentation de la résistance aux antibiotiques (20 % de résistance à la ciprofloxacine).
Dans le Val-de-Marne, une augmentation des diagnostics (en dehors des populations à risque « classiques ») a également été constatée : depuis peu, des dépistages par PCR sont proposés, associés au dépistage de l’infection à Chlamydia trachomatis.
En pratique
Quels dépistages ?
Il faut inciter les adolescents à faire des dépistages IST et les cibler en fonction des éléments recueillis à l’interrogatoire et à l’examen clinique.
• Examens pour des adolescents sans facteur de risque :
– Chlamydia trachomatis ;
– VIH.
• En cas de signes loco-régionaux et/ou autre IST, faire également une recherche pour :
– papillomavirus humains (HPV) ;
– gonocoques ;
– herpès.
• En cas de pratiques addictives, d’incarcération, rajouter : hépatites B et C.
Informer et traiter les partenaires
L’information du partenaire est un temps essentiel, qu’il faudra souvent négocier avec l’adolescent, en lui expliquant la démarche :
– éviter la réinfection du patient ;
– réduire le risque de séquelles, en les traitant précocement ;
– éviter la propagation de l’infection en réduisant la période infectieuse.
Des objectifs accessibles
Les objectifs de prévention du Programme national de lutte contre le VIH/sida et les IST 2005-2008 doivent résonner dans toutes les têtes :
• diminuer la prévalence des chlamydioses à 3 % chez les femmes de moins de 25 ans ;
• diminuer l’incidence des gonococcies dans les populations à risque ;
• diminuer la prévalence de l’infection à HSV-2 à 14 % chez les femmes ;
• réduire la durée de la période infectieuse et la fréquence des complications des IST.
Pour atteindre ces objectifs, les professionnels de santé doivent être attentifs à saisir toute occasion pour proposer des dépistages et évoquer les questions de la prévention, notamment auprès des adolescents.
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