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Profession

Publié le 16 fév 2025Lecture 8 min

Bientraitance en périnatalité : les soignants et les femmes d’abord

Laura BOURGAULT, Nantes
Bientraitance en périnatalité : les soignants et les femmes d’abord

Manque d’effectifs, rythme de travail épuisant : quels freins fragilisent le bien-être des professionnel(le)s de la périnatalité ? Et que dire aujourd’hui du vécu des femmes suivies pendant leur grossesse, pour leur accouchement et en suites de couches ? Comment améliorer le degré de bientraitance des patientes et la qualité des prises en charge en périodes prénatales, périnatales et postnatales ? 

D’après la communication du Pr Elie Azria, gynécologue obstétricien (Groupe hospitalier Paris Saint Joseph), Clémence Schantz, sociologue et sage-femme de formation, Marianne Jacques, sage-femme et doctorante en santé publique, Anne Evrard, présidente du CIANE (Centre d’Information et d’Action pour la Naissance et l’Enfance), Pr Olivier Morel, gynécologue obstétricien (CHU de Nancy), Bénédicte Costantino, gynécologue (Strasbourg), Thibaut Rackelboom, anesthésiste réanimateur (CHU de Fort de France) -  53ème Congrès de la Société française de médecine périnatale (SFMP) organisé en octobre 2024 Prendre soin de soi pour bien soigner les autres. La bientraitance en périnatalité, celle des professionnel(le)s et celle de toutes jeunes mères, sont intrinsèquement liées. Un sujet longuement abordé à l’occasion du 53ème Congrès de la Société française de médecine périnatale (SFMP), qui s'est déroulé en octobre 2024 à Nancy. Les experts sur place intervenant sur cette thématique ont préféré le terme plus juste et moins jugeant de bientraitance, à celui des violences obstétricales ou encore à la notion de maltraitance. La bientraitance donc, pour évoquer les conditions d’exercice comme les axes d’amélioration du bien-être professionnel et de la qualité des prises en charge en périnatalité. 40% des sages-femmes hospitalières en burn-out Premier point, que sait-on de la souffrance au travail dans les services de maternité et de néonatalogie ? Selon les données* recueillies auprès des sages-femmes hospitalières exerçant en France, 40% des professionnel(le)s de la maïeutique ont déjà enduré une situation de burn-out. Quid des autres professionnels de la périnatalité ? 31,3% des gynécologues-obstétriciens (1) ont déjà souffert de ce syndrome d’épuisement général lié à la surcharge de travail et à un amenuisement extrême des ressources physiques et psychiques.  Aucune donnée n’est à ce jour connue concernant les autres professions. Et quels facteurs de risque vont en particulier exposer ces soignants au risque de burn-out ? La charge de travail hebdomadaire (plus de 50h pour 80% des néonatologistes) et mensuelle (47% font plus de 5 gardes par mois) la faible valorisation et l’incompatibilité des cadences professionnelles avec la vie personnelle (2). Autres points : 49% des professionnels rapportent des troubles du sommeil. Et le score moyen de satisfaction professionnelle est de 5.7/10. La démographie médicale, problématique complexe Autre point affectant l'exercice des soignants et la qualité des suivis : une offre de soins inadaptée et peu efficiente, pour des raisons liées à la démographie médicale et à la cartographie des maternités. Dans un monde idéal, la périnatalité verrait exercer suffisamment de professionnel(le)s pour répondre aux besoins de la population. Une réalité encore très lointaine : il existe en effet des limites évidentes pour améliorer ce ratio soignants/patientes. Et les besoins pourtant spécifiques ne sont pas toujours bien définis, de par la grande multiplicité des missions, des différences selon les classes d’âge ou encore des taux de natalité et du nombre de maternités accessibles à population comparable.  Plusieurs autres critères entrent en ligne de compte : des modalités d’exercice très variés avec des surspécialités de certains professionnel(le)s, une mixité de l’exercice entre public et libéral, la pratique du temps partiel le partage des compétences entre gynécologues, sages-femmes et médecins généralistes  le dimensionnement des équipes associé à très peu de normes réglementaires un manque de contribution des centres de PMI à la politique périnatale : en ce sens, des objectifs de santé publique pourraient être assignés à ces centres, avec une évaluation périodique des résultats obtenus un manque de coordination entre les acteurs de la périnatalité pourtant essentiel pour assurer un meilleur suivi personnalisé des femmes enceintes, des mères et de leur nouveau-né Insécurité maternelle, d’où vient-elle ? A quel point les femmes suivies pour leur grossesse et accouchant en France vont-elles éprouver un dommageable sentiment d’insécurité ? Pour répondre à cette question de la façon la plus précise possible, le collectif CIANE (collectif interassociatif autour de la périnatalité) a interrogé 12 479 femmes ayant accouché entre mars et juillet 2021, avec un total de 9 146 réponses complètes collectées. Plusieurs étapes de la prise en charge ont été étudiées :  l’organisation du parcours, la préparation à la naissance et à la parentalité, l’état et suivi pendant la grossesse, l’accouchement, le séjour à la maternité, le retour à la maison, la situation personnelle.  Au total, 86% des femmes ont jugé leur suivi médical satisfaisant. Et 57% des patientes estiment que ce suivi a contribué au bon vécu de leur grossesse. Mais ces chiffres ne doivent pas cacher d’autres pans de la réalité : les consultations sont trop courtes pour 24% des femmes, l’écoute décrite comme peu ou pas satisfaisante  pour 18% des femmes. Seules 61% des répondantes se sont par ailleurs toujours senties respectées, laissant donc 4 femmes sur 10 empreintes d’un sentiment de perte de dignité.  Pour aller plus loin, 33% des femmes affirment ne pas avoir été respectées parfois, et 6 à 7% se disent souvent ou toujours non respectées.  Ces dernières rapportent en particulier des commentaires désobligeants, des moqueries, un non-respect de leur pudeur, de leur douleur aussi, un manque de délicatesse dans les gestes médicaux, un manque de communication et un non-respect du consentement. Syndrome de stress post-traumatique obstétrical : quelle réalité ? L’accouchement va induire un syndrome de stress post-traumatique dans 5% des cas. Cette donnée atteint 15% chez les patientes à risque présentant en particulier :  des antécédents personnels des imprévus en salle de naissance : césarienne en urgence, extraction instrumentale, révision utérine, prématurité des douleurs physiques intenses des conflits survenus au sein de l’équipe Et nous ne sommes pas sans savoir que ce syndrome de stress post-traumatique est associé à des cas de dépression du post-partum et des troubles de développement de l’enfant. L’importance de la prise en charge de la douleur et l’attitude des professionnel(le)s vont donc être capitales en prévention du syndrome de stress post-traumatique.  Isolement, dépossession de son corps, troubles du lien avec l’enfant, douleur persistante, perte confiance dans les soignants Comment se traduisent ces troubles psychiques et physiologiques ? Le manque de bientraitance va pouvoir induire chez les patientes certains sentiments décrits par le collectif CIANE :  “un sentiment de dévalorisation, d’infantilisation, d’humiliation et de ridicule” “un sentiment de dépossession de son rôle, de son corps, de son bébé ou, à l’inverse, d’être réduite à n’être qu’un corps” “un vécu d’isolement et d’abandon” “une perte de confiance dans l’équipe et un sentiment de grande solitude” “une émergence de la peur et du risque de mort sans qu’ils puissent être ouvertement exprimés” D’autres risques sont aujourd’hui objectivés :  “une perte du sommeil, de l’appétit, des cauchemars, des réminiscences, des flashs répétitifs sur les moments les plus difficiles, des angoisses majeures, des pleurs fréquents, une image personnelle dégradée, une culpabilité, une colère, une difficulté dans le lien à l’enfant” “un isolement par rapport aux proches de peur d’être incomprise, un repli sur soi” “une impossibilité de reprendre le travail ou un arrêt nécessaire après la reprise car obsédée par la remontée des évènements, une tristesse, un découragement, une fatigue physique et psychique intense” “des douleurs corporelles diffuses, des douleurs périnéales persistantes, même en l’absence de lésion ou d’épisiotomie, une sexualité atteinte voire inexistante, une crise conjugale” “une perte de confiance dans les soignants, un abandon du suivi médical personnel ou une errance médicale” Des pistes concrètes pour limiter le risque de syndrome de stress post-traumatique  Après le partage des expériences et des récits des patientes révélant ce manque de bientraitance et de syndrome de stress post-traumatique, quelles actions préventives mettre en place de la part des professionnel(le)s de la périnatalité ?  Informer les patientes des gestes proposés dans le cadre des prises en charge : indications, déroulé… Sachant qu’une information adaptée est associée à sérénité augmentée des patientes. A ce sujet, selon l’enquête du CIANE, 60% des femmes mal informées au 1er trimestre de leur grossesse se disaient pas ou peu sereines, contre 51% des femmes bien informées. Il existe aussi un lien entre carence d’information et vécu dégradé de l’accouchement : 34% des femmes ayant reçu une information non adaptée n’ont pas du tout bien vécu leur accouchement, contre 14% des femmes bien informées  Recueillir systématiquement le consentement Eviter les postures et les propos irrespectueux Respecter les choix et les perceptions propre à chaque parent Repenser l’utilisation faite des projets de naissance Intégrer les récits des couples comme pierre angulaire de possibles « RMM de vécu » Maintenir un niveau de vigilance accrue sur la bientraitance dans les situations d’urgence Mettre en place une gestion concertée avec la patiente, en discutant des options thérapeutiques envisagées en cas de complications et/ou d’imperfections dans la prise en charge S’enquérir du vécu des patientes. Que disent les chiffres du CIANE à ce sujet ? Seul un tiers des femmes ont pu revenir sur leur accouchement avec un(e) professionnel(le), alors que 50 à 60% auraient aimé le faire. Dans la population primipare, 29% des femmes trouvaient par ailleurs que l’attention portée à leur forme physique était insuffisante, 57% concernant la forme psychologique. Des données qui passent respectivement à 23% et 48% auprès des multipares Communiquer entre soignants sur la situation vécue en assurant la traçabilité des faits Proposer un débriefing personnalisé en post-partum avec la patiente et le soignant référent Proposer une prise en charge psychologique aux patientes en vue du dépistage du syndrome de stress post-traumatique   Intégrer dans la stratégie des “1 000 premiers jours” les enjeux liés à la qualité et à la sécurité des soins, en prenant également en compte les risques psychiques et développementaux associés à la grossesse, les inégalités sociales aussi Consolider le dispositif PRADO de retour à domicile tant qu'aucun autre dispositif alternatif de suivi à domicile des femmes, en particulier les plus vulnérables, n'est pas mis en place Améliorer les indicateurs périnataux  L’accompagnement et la bientraitance des femmes suivies en périnatalité par les professionnel(le)s exerçant dans cette spécialité sont à considérer pour améliorer la qualité des soins et donc les indicateurs périnataux en France. Rappelons les chiffres de la mortinatalité avec 3,8 enfants nés sans vie pour 1 000 naissances (2015-2020), un des taux les plus élevés d’Europe et aucune amélioration rapportée à ce sujet depuis 2000. Concernant la mortalité néonatale, ¾ des décès rapportés surviennent durant le premier mois de vie de l’enfant, avec un estimation fixée à 2,7 pour 1 000 naissances. Enfin, les données de la mortalité maternelle établissent à 8,5 décès pour 100 000 naissances vivantes, un chiffre stable depuis 2010, avec une France qui se situe dans la moyenne européenne. Reste que 60% de ces décès pourraient être évités. Pour en savoir plus sur les recommandations du GREEN en lien avec la bientraitance en périnatalité, rendez-vous sur Pédiatrie Pratique : expertise du Pr Pierre Kuhn, néonatologie (CHU de Strasbourg). *données CNSF juin 2020  

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