Publié le 22 jan 2018Lecture 3 min
Lithium et grossesse : le risque de cardiopathie congénitale mieux évalué
Anastasia ROUBLEV, Paris
Le traitement des femmes en âge de procréer, souffrant de troubles bipolaires, est souvent rendu délicat en raison des risques tératogènes associés à la prise de thymo-régulateurs, qu'il s'agisse notamment du valproate ou du lithium.
Pour le lithium, des études publiées dans les année 1970 avaient retrouvé un risque élevé de cardiopathies congénitales et tout particulièrement d'anomalies d'Ebstein (anomalie d'implantation de la valve tricuspide) dont la fréquence paraissait multipliée par 400 chez les enfants exposés in utero. Ces données ont conduit à recommander l'arrêt du lithium avant toute grossesse planifiée lorsque cela est possible. Malgré ces risques, le lithium est souvent prescrit en première ligne pour des troubles bipolaires diagnostiqués chez une femme en âge de procréer (tout au moins aux États-Unis). Face aux résultats contradictoires des travaux épidémiologiques publiés sur la question ces trente dernières années, une équipe d'épidémiologistes de Boston a entrepris une nouvelle étude de cohorte rétrospective de très grande envergure.
663 grossesses sous lithium
Ce travail a inclus 1 325 563 grossesses ayant abouti à la naissance d'un enfant vivant entre 2000 et 2010 aux États-Unis. Il a permis de distinguer trois groupes de femmes : 1 322 955 non exposées au lithium ou à la lamotigrine durant les 3 mois ayant précédé la grossesse ou durant le 1er trimestre de gestation, 663 exposées au lithium lors du 1er trimestre et 1 945 ayant reçu de la lamotrigine lors des 3 premiers mois de gestation.
La lamotigrine a été choisie comme comparatif du lithium parce que tout en étant un traitement efficace des troubles bipolaires, elle n'a pas été associée à une majoration du risque de malformations congénitales dans la littérature. Les résultats bruts confirment le risque de malformations cardiaques associés à la prise de lithium durant le 1er trimestre de la grossesse (fréquence des cardiopathies congénitales 2,41 % dans le groupe lithium, 1,39 % dans le groupe lamotigrine, 1,15 % pour les grossesses non exposées).
Toutefois, l'ampleur de ce risque apparaît bien inférieure à ce qui avait été publié puisque le risque ajusté de cardiopathies congénitales pour les enfants exposés n'est accru que de 65 % par rapport aux enfants non exposés (intervalle de confiance à 95 % [IC95] entre + 2 et + 168 %). Pour des malformations pouvant entrer dans le cadre d'une anomalie d'Epstein, le risque ajusté est apparu multiplié par 1,66 (IC95 entre 0 et 7,06).
Pas de risque significatif lié à la lamotigrine
Cette étude a également permis de mettre en évidence un effet dose du lithium (en faveur d'une relation causale), avec un risque de cardiopathie congénitale devenant statistiquement significatif au dessus de 900 mg/jour. Enfin, elle a de plus confirmé l'absence d'association entre prise de lamotigrine durant le 1er trimestre de la grossesse et cardiopathie congénitale. Elle n'a pas retrouvé non plus d'association significative entre prise de lithium durant l'embryogénèse et risque de malformations non cardiaques (risque ajusté 1,22 ; IC95 entre 0,81 et 1,84).
Il faut cependant souligner que comme toutes les études de cohorte rétrospectives, celle-ci a ses limites. Le risque de cardiopathies congénitales liées au lithium a pu être majoré, notamment car ce travail n'a pu écarter complètement le rôle de certains facteurs de confusion possibles qui, comme l'obésité, le tabagisme ou la consommation d'alcool, fréquents au cours des troubles bipolaires, sont également associés à une augmentation de la prévalence des cardiopathies congénitales.
Une décision mieux éclairée
A l'inverse, le risque de cardiopathies congénitales liées au lithium pourrait avoir été minoré par le fait que seules les grossesses ayant abouti à une naissance vivante ont été prises en compte ce qui excluait de l'analyse les avortements spontanés ou provoqués qui seraient plus fréquents chez les femmes prenant du lithium. Au total, le risque de cardiopathie congénitale lors des grossesses exposées au lithium paraît donc bien réel (et dose-dépendant) mais nettement inférieur à ce que l'on estimait jusqu'ici. Il peut être estimé à environ un cas supplémentaire pour 100 naissances vivantes.
Ces nouvelles données devraient permettre de mieux orienter les décisions parfois difficiles des psychiatres et des gynécologues confrontés à des troubles bipolaires sévères et réfractaires à d'autres traitements.
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