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Douleur

Publié le 14 mar 2018Lecture 10 min

Évaluer le vécu de l'accouchement

Marie-Julia GUITTIER*, Hôpitaux universitaires de Genève, Genève

Le contexte international actuel reconnaît l’importance d’identifier les besoins des femmes autour du moment de naissance et de considérer les expériences de naissance comme des éléments importants pour leur santé psychologique. La naissance d’un premier enfant a été décrite comme un évènement pivot dans la vie d’une femme(1).

Une expérience structurante Le vécu de l’accouchement est un phénomène complexe car de construction multidimensionnelle. Larkin et al.(2) ont défini le concept de l’expérience de l’accouchement comme : « Un événement individuel, comprenant des processus physiologiques et psychologiques subjectifs et inter-reliés qui sont par ailleurs influencés par les contextes sociaux, environnementaux, organisationnels et politiques ». Pour définir ce concept, les auteurs ont dégagé un consensus sur les attributs de l’expérience du travail et de la naissance qui sont : individu, complexe, processus et évènement d’une vie. Cette expérience est décrite comme une expérience critique et réflexive, contribuant à un changement d’identité ou un rite de passage. Maimburg et al.(3) ont souligné le fait que l’expérience de l’accouchement est importante à prendre en compte et suggèrent qu’elle pourrait influencer la santé des femmes et de leurs familles à long terme. Ils rapportent que cinq ans après l’accouchement, 21 % des 913 femmes interrogées qualifiaient leur vécu de cette expérience comme « mauvais à très mauvais » et que les femmes qui avaient évalué négativement leur expérience 6 semaines après l’accouchement l’évaluaient encore plus négativement à 5 ans. De nombreux facteurs déterminants pour le vécu de l’accouchement ont été mis en évidence. Ils sont de nature obstétricale (travail déclenché et/ou stimulé, travail prolongé, douleur intense, interventions imprévues, césarienne en urgence, accouchement instrumenté, complications), psychologique (manque d’implication dans les décisions, perte de contrôle, peur, attentes non satisfaites, sentiment d’impuissance, manque de soutien des soignants et du partenaire, anxiété et sentiment d’insécurité) et sociale (état du réseau social du couple)(4-8). Premier contact du nouveau parent avec son enfant À ce jour, les conséquences de l’accouchement sont majoritairement évaluées d’un point de vue biomédical, en décrivant les morbidités physiques possibles pour les femmes selon des complications éventuellement survenues au cours de l’accouchement. Les conséquences psychologiques commencent à être recherchées et évaluées chez les femmes, rarement chez les hommes. Pourtant les pères sont susceptibles d’être impactés de manière similaire par leur propre expérience de cet événement(9). D’une façon générale, il est décrit qu’une expérience positive de l’accouchement peut favoriser des sentiments profonds d’accomplissement personnel, de valorisation et de confiance en soi. Elle peut aussi faciliter la relation avec l’enfant et augmenter la satisfaction du rôle parental(7). Mal vécue, elle peut conduire à un sentiment de détresse, pouvant aller jusqu’à la dépression post-natale et au syndrome de stress post-traumatique(10-12). On peut aussi émettre l’hypothèse qu’une mauvaise expérience de l’accouchement puisse impacter la relation conjugale et l’attachement à l’enfant(9). Comment évaluer une telle expérience ? De par sa complexité et les aspects multidimensionnels qui la construisent, l’expérience de l’accouchement est difficile à mesurer(2). Plusieurs instruments ont été développés en ce sens, avec chacun leurs forces et leurs faiblesses. En effet, la majorité des questionnaires explorent la satisfaction des soins reçus dans les maternités plutôt que le vécu de l’expérience elle-même. Nous pouvons citer, entre autres, le WOMBLSQ4 (Women’s Views of Birth Labour Satisfaction Questionnaire)(13) et le PCQ (Pregnancy and Childbirth Questionnaire)(14). Mais le concept de « satisfaction » semble peu approprié pour recueillir l’expérience de l’accouchement(15). D’autres auteurs ont fait le choix de développer des questionnaires mesurant de façon unidimensionnelle certains déterminants de l’accouchement(16-17). Par exemple, le sentiment de contrôle peut-être mesuré par l’échelle LAS (Labor Agentry Scale)(16). Il existe aussi des questionnaires qui s’attachent à mesurer l’expérience dans ses aspects multidimensionnels et au-delà de la satisfaction des soins reçus. Nous nous référons au CEQ (Childbirth Experience Questionnaire)(18) ou au QMAALD (Questionnaire Measuring Attitudes About Labor and Delivery)(19-20). Néanmoins, ces questionnaires multidimensionnels n’ont pas été validés en français et ne mesurent pas toutes les dimensions importantes que les femmes interviewées avaient rapportées dans le cadre d’une étude qualitative sur le vécu de l’accouchement que nous avions réalisée à Genève(21). Le QEVA et le FTFQ C’est pourquoi notre équipe de recherche a développé le QEVA (Questionnaire d’Évaluation du Vécu de l’Accouchement) pour les mères(22). C’est un outil composé de 25 items qui prend en considération l’aspect multidimensionnel de l’expérience de l’accouchement et qui a été développé de manière méthodique(23-24). L’évaluation de ses propriétés métriques a mis en évidence un intérêt à la fois pour la clinique et pour la recherche à travers l’analyse de chaque item et la possibilité d’établir un score pour chacune des quatre dimensions suivantes : relation avec l’équipe médico-soignante, état émotionnel, premiers instants avec le nouveau-né et bilan à un mois. Pour les pères, nous avons réalisé une adaptation transculturelle en langue française d’un questionnaire suédois, le FTFQ (First Time Father Questionnaire), évaluant le vécu des primipères(25). Il évalue trois dimensions : soutien du personnel, inquiétude et préparation à la naissance. Ces deux questionnaires sont auto-administrés et ont été développés pour être remplis environ un mois après l’accouchement. Ce temps pour la mesure est recommandé par de nombreux auteurs pour éviter l’effet halo. Trop près de l’accouchement, le soulagement et l’euphorie rendent les femmes moins négatives ou au contraire une expérience négative entraîne un processus de deuil dont le premier stade est le déni(26-28). Méthode et résultats Création et validation d’un Questionnaire d’Évaluation du Vécu de l’Accouchement pour les femmes, le QEVA 22. Nous avons soumis le QEVA à 477 primipares dans le but d’en évaluer les propriétés de mesure entre 4 et 6 semaines post-partum. Nous avons obtenu une réponse de 292 d’entre-elles, soit 61 %. Nous avons utilisé ces données pour analyser également la distribution des réponses. Voici les principaux résultats : l’âge moyen des participantes était de 31(5) ans, la majorité était Suisse ou Européenne (87 %) et une femme sur deux avait un niveau d’étude supérieur. Au niveau obstétrical, la moitié des femmes avait un travail déclenché, 51 % ont accouché par voie basse spontanée, 19 % par forceps ou ventouse, 30 % par césarienne dont 23 % en urgence. Tableau 1. - Réponses au QEVA Les participantes cochent leur degré d’accord ou de désaccord sur une échelle de Likert à quatre modalités de réponse (tout à fait ; en partie ; pas tellement ; pas du tout). Les résultats rapportés correspondent à la proportion de réponses défavorables. Les taux supérieurs à 20 % sont mis en rouge. Items du QEVA, n total = 291 femmes N ( %) Je me sentais inquiète « tout à fait/en partie ». 138/291 (46.5 %) Je me sentais en sécurité « pas tellement/pas du tout ». 16/291 (5.4 %) Je me sentais confiante « pas tellement/pas du tout ». 44/291 (14.8 %) L’équipe soignante comprenait et répondait à mes désirs de manière satisfaisante « pas tellement/pas du tout ». 22/291 (7.4 %) Je me suis sentie soutenue émotionnellement par les professionnels qui s’occupaient de moi « pas tellement/pas du tout ». 23/291 (8.1 %) Les professionnels me tenaient informée de ce qui se passait « pas tellement/pas du tout ». 17/291 (5.7 %) Je sentais que je pouvais m’exprimer et donner mon avis à propos des décisions me concernant « pas tellement/pas du tout ». 34/291 (11.4 %) Je suis satisfaite de la manière dont les évènements se sont déroulés « pas tellement/pas du tout ». 53/291 (18.1 %) Durant le travail J’ai réussi à utiliser des méthodes de relaxation pour m’aider lors des contractions « pas tellement/pas du tout ». 79/256 (30.9 %) J’ai pu me mouvoir ou choisir librement ma position « pas tellement/pas du tout ». 45/253 (17.8 %) On a pu soulager ma douleur au moment où je l’ai demandé « pas tellement/pas du tout ». 42/247 (17.0 %) Tout s’est déroulé comme je l’avais imaginé « pas tellement/pas du tout ». 125/260 (48.1 %) J’avais l’impression de perdre tous mes moyens » Tout à fait/en partie ». 95/260 (36.5 %) Durant l’accouchement J’ai réussi à utiliser des méthodes de relaxation pour m’aider lors des contractions « pas tellement/pas du tout  ». 101/243 (41.6 %) J’ai pu me mouvoir ou choisir librement ma position « pas tellement/pas du tout ». 116/241 (48.1 %) On a pu soulager ma douleur au moment où je l’ai demandé « pas tellement/pas du tout ». 31/243 (12.8 %) Tout s’est déroulé comme je l’avais imaginé « pas tellement/pas du tout ». 124/269 (46.1 %) J’avais l’impression de perdre tous mes moyens « Tout à fait/en partie ». 109/258 (42.2 %) Premiers instants avec le nouveau-né J’ai pu découvrir visuellement mon bébé de manière satisfaisante « pas tellement/pas du tout ». 43/288 (14.9 %) J’ai eu mon bébé contre moi pour la première fois au moment où j’en ai eu envie « pas tellement/pas du tout ». 65/288 (22.6 %) Les premiers instants avec mon bébé correspondaient à ce que j’avais imaginé avant d’accoucher « pas tellement/pas du tout ». 83/288 (28.8 %) À ce jour, un mois après l’accouchement J’ai compris tout ce qui s’est passé lors de mon accouchement « pas tellement/pas du tout ». 23/284 (8.1 %) Je suis fière de moi « pas tellement/pas du tout ». 19/284 (6.7 %) J’ai des regrets « Tout à fait/en partie ». 76/284 (26.8 %) J’ai un sentiment d’échec « Tout à fait/en partie ». 57/284 (20.1 %) L’idée d’accoucher une nouvelle fois m’effraie « pas tellement/pas du tout ». 94/284 (33.1 %)   Adaptation transculturelle et validation d’un questionnaire suédois destiné à évaluer le vécu de l’accouchement chez les pères, le First Time Father Questionnaire, FTFQ25. Nous avons effectué l’adaptation transculturelle et la validation des propriétés psychométriques du FTFQ selon une méthodologie précise et rigoureuse : traduction avec adaptation du questionnaire en langue française (langage cible), pré-test puis vérification des propriétés psychométriques dans une population de primipères. La version française du questionnaire comporte 19 items regroupés en 3 dimensions : soutien émotionnel et informatif du personnel, inquiétude et prénatal. Chacune des trois dimensions peuvent être scorées. Au total, 350 primipères ont été recrutés et 160 ont rempli le questionnaire, soit un taux de réponse de 46 %. Les caractéristiques des participants sont les suivantes : moyenne d’âge était de 33(5) ans, 86 % étaient d’origine Suisse ou Européenne, 54 % avaient un niveau de formation supérieur et 21 % avaient suivi des cours de préparation à la naissance. Tableau 2. - Réponses au FTFQ Les participants cochent leur degré d’accord sur une échelle de Likert à quatre modalités de réponse (tout à fait ; en partie ; pas tellement ; pas du tout). Les résultats rapportés correspondent à la proportion de réponses défavorables. Les taux supérieurs à 20 % sont mis en rouge. Avant l’accouchement Je me sentais bien informé, « pas tellement/pas du tout ». 18/160 (11.6 %) Je me sentais bien préparé, « pas tellement/pas du tout ». 23/160 (14.4 %) Pendant le travail et l’accouchement Le personnel a pris soin de moi, « pas tellement/pas du tout ». 23/160 (14.4 %) J’ai reçu suffisamment d’informations, « pas tellement/pas du tout ». 19/159 (11.9 %) J’ai reçu des conseils sur la manière d’apporter un soutien à ma partenaire, « pas tellement/pas du tout ». 40/160 (25 %) Il me manquait certaines informations, « Tout à fait/en partie ». 58/160 (36.3 %) Il y a des situations que j’aurais préféré ne pas avoir vécu, « Tout à fait/en partie ». 39/160 (24.4 %) Inquiet pour ma partenaire, « Tout à fait/en partie ». 105/159 (66.0 %) Inquiet pour mon enfant, « Tout à fait/en partie ». 89/159 (57.9 %) Inquiet que quelque chose se passe mal, « Tout à fait/en partie ». 101/159 (63.5 %) Inquiet de ne pas être capable d’apporter mon soutien, « Tout à fait/en partie ». 74/159 (46.5 %) Inquiet face à ce que je ne connaissais pas, « Tout à fait/en partie ». 86/159 (54.1 %) Préoccupé par la façon dont je réagirais, « Tout à fait/en partie ». 53/159 (33.3 %) Je sentais que les sages-femmes et le personnel se souciait de savoir si j’allais bien, « pas tellement/pas du tout ». 102/160 (63.7 %) Le personnel de la maternité s’est proposé de me remplacer auprès de ma partenaire pour que je puisse prendre une pause, « pas tellement/pas du tout ». 105/155 (66.9 %) J’ai vécu l’accouchement (césarienne ou voie basse) comme un événement effrayant, « Tout à fait/en partie ». 24/157 (15.3 %) On m’a rassuré lorsque j’en avais besoin, « pas tellement/pas du tout ». 32/157 (20.4 %) Après l’accouchement On m’a montré comment tenir mon enfant, « pas tellement/pas du tout ». 48/156 (30.8 %) On m’a encouragé à tenir mon enfant, « pas tellement/pas du tout ». 32/156 (20.5 %) La proportion de pères qui a répondu défavorablement aux items nous a surpris par son importance. Comme pour les mères, mais de façon plus marquée encore, nous avons constaté que les réponses des hommes concernant leur sentiment d’information, leur statut émotionnel, leur vécu durant le travail ou l’expulsion et leur vécu des premiers instants avec leur enfant témoignent d’un vécu souvent difficile. Conclusion Le QEVA et le FTFQ sont des outils développés en milieu francophone. Ils permettent d’évaluer le vécu de l’accouchement chez les deux parents et ont un intérêt à la fois pour la clinique et pour la recherche.

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