Contraception
Publié le 28 mar 2019Lecture 6 min
Les dessous de la consultation de contraception
Gaëlle de Decker, Montpellier
La loi du 28 décembre 1967 « relative à la régulation des naissances » a plus de cinquante ans. La diversité des moyens de contraception qui existent aujourd’hui fait oublier l’époque où, en France, tous les moyens de contraception étaient prohibés par une loi. La loi de 1920 interdisait en effet « toute propagande et toute utilisation des moyens de contraception », y compris les conseils en la matière donnés par les médecins. Toute information diffusée sur la contraception et les « remèdes secrets préventifs à la grossesse » pouvaient aboutir à des amendes et à des peines d’emprisonnement. Le gouvernement espérait ainsi augmenter le taux de natalité après la Première Guerre mondiale, au détriment de la condition féminine. La loi Neuwirth, du nom du député ayant défendu l’accès à la contraception pour toutes les femmes, a donc révolutionné l’histoire des femmes et de la maternité. Simone Veil considérait d’ailleurs que cette loi était au moins aussi importante que celle autorisant l’IVG(1).
Du choix des mots
Ce préambule nous aide peut-être à comprendre les résistances qui sont encore à l’œuvre concernant la contraception et participent de l’ambivalence qu’on observe parfois chez certaines femmes, notamment dans les consultations pré-IVG. Cette confusion est déjà comprise dans l’étymologie du mot contraception. Contraception, contre le fait de concevoir, comme si le mot comprenait déjà, en son sein, un jugement de valeur. Les anciennes définitions du dictionnaire vont dans ce sens. Ainsi, celle du Petit Robert, datée de 1988, définit la contraception comme un ensemble de moyens employés pour provoquer l’infécondité chez la femme ou chez l’homme. Prendre la pilule rendrait donc inféconde ? Nous voilà renvoyés aux représentations que peut véhiculer le simple mot de contraception. Une définition plus récente précise qu’il s’agit de l’ensemble des produits empêchant la fécondation, ce qui semble moins inquiétant et qui se rapproche davantage du choix fait par le couple de ne pas déclencher de grossesse, en utilisant un moyen de contraception. Si nous sommes très loin aujourd’hui de l’image des contraceptifs réservés aux prostituées et des discours religieux radicaux qui assimilent la prise d’un contraceptif à un homicide, toutes ces représentations restent néanmoins actives dans l’inconscient collectif. La symbolique véhiculée par les deux définitions ci-dessus est très différente, chaque mot ayant sa portée et sa puissance symbolique. Les mots, et donc aussi ceux des médecins prescripteurs, vont opérer et cheminer différemment pour chaque personne en fonction de son histoire, de ses représentations, et c’est bien cela qui nous échappe. Si le psychanalyste travaille avec la métaphore pour faire entendre quelque chose de ce qui échappe au patient, le médecin utilise une parole technique et médicale pour décrire et traiter les symptômes de son patient. Cette parole va néanmoins toucher le patient, de manière parfois inattendue.
Même si les patients ont aujourd’hui accès à beaucoup d’informations médicales, la parole médicale demeure en effet une parole marquante, le médecin sait. La parole médicale va rassurer ou, au contraire, inquiéter, elle est rarement neutre. Certains patients ont une confiance quasi illimitée en la parole du médecin. Dans certains cas, le patient va s’en remettre à son médecin comme l’enfant à ses parents « avec une erreur sur le destinataire », comme l’a démontré Freud en élaborant le concept de transfert(2). En ce sens, on pourrait parler de la responsabilité de celui qui énonce une parole de sa place de professionnel de la médecine. Ainsi, le médecin disant à une jeune fille : « Vous aurez peut-être du mal à avoir des enfants », ne mesure-t-il pas les effets d’une telle prophétie. Elle va laisser une trace. Elle sera dans certains cas une parole définitive empêchant à jamais une grossesse future... Ma pratique au sein du service de la reproduction du CHU de Montpellier peut en témoigner.
De la rencontre et de ses dessous…
Les représentations affluent dans le psychisme lors des consultations où il est question de désir de grossesse et de son ambivalence, de contraception, de rapports sexuels… Alors comment ne pas projeter à partir de sa propre expérience (en s’imaginant dans une situation similaire ; ou sa femme, ou sa fille…) ? Comment arriver à se décentrer suffisamment par ailleurs pour repérer les mécanismes de défense, des résistances quand on n’a pas été spécifiquement formé à cela ? Ignorer cet aspect-là des choses, c’est risquer de compromettre la bonne mise en œuvre du traitement contraceptif. Savoir que « ces choses-là » existent, les « dessous », qui sont là, immanquablement, quand il s’agit de l’intime, c’est déjà un pas vers une prescription adaptée. Si la pilule est encore le moyen de contraception le plus fréquemment prescrit, tout le monde s’accorde à dire qu’une bonne contraception est celle qui est prescrite sur mesure en fonction du mode de vie et des contraintes de chaque femme(3). Ainsi, une prescription aura le plus de chance d’être respectée si la personne a le sentiment que son médecin s’est posé la question de savoir si cette contraception-là lui convient en particulier, en fonction de son âge, de sa situation actuelle, et qu’il ne s’agit pas uniquement de la contraception la plus répandue sur le marché.
Prenons un exemple. Le médecin prescrivant un système utérin au lévonorgestrel (SIU-LNG) peut supposer l’absence de règles comme une délivrance pour sa patiente. Mais l’a-t-il interrogée sur ce point ? Pour certaines femmes, le cycle est un repère auquel elles ne sont pas prêtes à renoncer, même au profit d’un certain confort. Ainsi, la femme approchant l’âge de la ménopause peut avoir des raisons de demander à retirer le SIU-LNG pour savoir où elle en est exactement de sa capacité de procréer… Il s’agit dans ce cas d’un fantasme et non d’un projet, inscrit dans la réalité… mais ce type de demande reste pour autant fondé subjectivement. Dans certaines cultures, « voir ses règles » est important et l’aménorrhée provoquée par un SIU-LNG (ou un implant) peut alors être considérée comme « anormale ». Il n’est pas rare de rencontrer des femmes venant demander le retrait d’une contraception qu’elles n’avaient pas demandée, ou dont elles n’avaient pas compris le fonctionnement.
De la rencontre avec le psychanalyste
Depuis Freud, nous savons que dans un dialogue, nous ne sommes pas deux mais plutôt quatre, puisque l’inconscient de chacun a aussi son mot à dire, ou du moins va-t-il parfois se révéler par certains dérapages de langage que ne manque pas de repérer le psychanalyste. Les autres professionnels parleront plus volontiers de l’irrationnel humain ou plus certainement de l’irrationnel féminin ! Cet irrationnel est omniprésent dans nos vies affectives et échappe au contrôle de la médecine. En effet, à partir du moment où la vie émotionnelle et affective est en jeu dans la rencontre, il est inutile de raisonner en termes de principe logique du type : une femme demande une contraception pour éviter une grossesse ; je lui prescris une pilule ; elle ne sera donc pas enceinte. Nos consultations au centre d’orthogénie (et les statistiques) nous montrent que les choses ne sont pas aussi simples(4). Chacune des consultations de contraception, et je dirais même toutes les consultations, véhiculent des choses, porteuses d’émotions liées à l’histoire de chacun, qui dépassent le cadre médical habituel. Évoquer, dans certaines situations, un relais possible vers un professionnel de l’écoute et du psychisme, permettra au médecin de contenir l’angoisse qu’auront suscité en lui des découvertes qui dépassent son domaine de compétence. Le psychiatre, le psychologue ou l’analyste fonctionnera alors comme « buvard de l’angoisse du médecin », et ce dernier, dans les échanges avec le spécialiste de l’écoute, pourra se former à « une intelligence de la psychopathologie quotidienne, nécessaire à tout médecin »(5).
Conclusion
Parler de contraception c’est peut-être avant tout la penser dans l’optique d’une régulation des naissances plutôt que d’un empêchement pur et simple qui peut résonner pour certaines personnes soit comme une interdiction, soit comme une impossibilité à long terme. Aborder la contraception sous cet angle, c’est permettre à la femme de se servir du moyen de contraception pour avancer dans la connaissance de soi et d’accepter les contraintes qui sont liées au traitement qu’elle aura choisi, comme on choisit une trajectoire à un moment de sa vie. Mais c’est aussi, pour le médecin, une manière d’aborder sa pratique, au-delà des signes cliniques, et donc d’en sortir un peu différent.
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