Publié le 29 mar 2021Lecture 9 min
Covid-19 et grossesse : biologie de la (non)-transmission materno-fœtale… et de la susceptibilité néonatale
Daniel Rotten, Paris
Les sujets de controverse autour de l’atteinte par le coronavirus SARS-CoV-2 au cours de la grossesse sont légion, mais un point semble émerger : la relative rareté de la transmission materno-fœtale transplacentaire(1).
SARS-CoV-2 et grossesse
La contagiosité du SARS-CoV-2 ne semble pas augmentée chez les femmes enceintes. L’existence d’une plus grande gravité de la maladie chez les mères en comparaison avec la population générale est discutée. Certaines séries font état d’un plus grand nombre de formes sévères : plus grande fréquence d’hospitalisations en unité de soins intensifs/réanimation ; recours plus fréquent à une ventilation mécanique. Cette constatation concorde avec l’augmentation de gravité des infections virales à tropisme pulmonaire chez les femmes enceintes en raison des modifications immunologiques et morphologiques liées à la grossesse. D’autres séries ne retrouvent pas cette différence ou trouvent des résultats dissociés, avec détérioration d’un seul paramètre. De fait, la plus grande fréquence d’hospitalisations en unité de soins intensifs/réanimation pourrait par exemple résulter d’une attitude plus prudente chez les femmes enceintes.
En termes d’issues de grossesse, plusieurs séries relèvent une plus grande fréquence d’accouchements prématurés, de pré-éclampsies et de retards de croissance in utero. Mais là encore, les résultats ne sont pas consistants entre les séries. Des difficultés méthodologiques peuvent être en cause. Par exemple, s’agissant d’analyses de registres, les accouchements prématurés spontanés ne sont pas toujours distingués des accouchements prématurés d’indication médicale pour état maternel sévère.
Chez les nouveau-nés, les atteintes Covid-19 sont rares. Ainsi, Kate R. Woodworth et coll. ont colligé les résultats observés chez les mères ayant contracté le SARS-CoV-2 au cours de leur grossesse et ayant accouché dans un établissement participant au réseau de surveillance. Un test PCR a été réalisé chez 610 nouveau-nés dans les jours suivant leur naissance. Parmi eux, 16 (2,6 %) se sont avérés porteurs(2). Tous les tests positifs ont été observés lorsque l’accouchement s’est produit dans un délai avant accouchement ≤ 14 jours (n = 14/328 soit 4,3 %), et aucun lorsque la date de diagnostic chez la mère précédait la date d’accouchement d’un délai > 14 jours (n = 0/84). Pour des raisons méthodologiques, ces données ne permettent pas de distinguer transmission materno-fœtale transplacentaire et transmission néonatale précoce, mais la transmission post-natale est la plus probable. D’authentiques cas de transmission materno-fœtale transplacentaire ont été décrits, mais ils paraissent exceptionnels(3,4). Pour essayer de mieux comprendre les fondements biologiques de cette spécificité de l’infection par SARSCoV-2, Andrea G. Edlow et coll. ont réalisé une étude prospective destinée analyser les différents paramètres impliqués dans une éventuelle transmission virale transplacentaire aux 2e et 3e trimestres de la grossesse(1).
Population d’étude
Il s’agit d’une cohorte de femmes enceintes ayant accepté de participer à une banque de données biomédicales ayant pour objet l’analyse des relations entre atteinte par le virus SARS-CoV-2 et grossesse. Elles doivent accoucher dans l’un des trois centres périnatals de type III partenaires de l’étude, tous 3 situés à Boston, Massachusets. Un test PCR pour le SARS-CoV-2 est réalisé sur écouvillon naso-pharyngé chez toutes les femmes lors de l’inclusion dans la banque. La liste des principales mesures biologiques réalisées figure dans l’encadré. Le recueil d’informations a été réalisé de manière prospective.
Caractéristiques des patientes et des nouveau-nés
Les caractéristiques démographiques des 64 mères testées positives par PCR (groupe PCR+), et des 63 mères testées négatives (groupe PCR-) sont résumées dans le tableau 1.
À noter : les résultats de la PCR qui a servi à inclure les patientes dans la banque biomédicale n’ont pas été utilisés ultérieurement. Ce sont les résultats d’une deuxième PCR, faite dans le cadre du bilan virologique, qui ont été pris en compte et sont rapportés ci-après. Les prélèvements prévus ont pu être réalisés de façon complète chez 88 dyades mère-nouveau-né (tableau 2).
Comme on peut le constater, même à Boston, Massachusets, une dizaine de dossiers de patientes PCR+ ne sont pas complets. Onze femmes hospitalisées pour Covid-19, mais non enceintes sont incluses et constituent un groupe témoin. Le diagnostic a été porté dans la majorité des cas au 3e trimestre (54 patientes, 86 %), plus rarement au 2e trimestre (9 patientes, 14 %). Près de 20 % des mères ont présenté une symptomatologie sévère, dont 3 % une symptomatologie critique (tableau 3).
Douze nouveau-nés de mère PCR+ ont été admis en unité de soins intensifs/réanimation néonatale contre 6 dans le groupe de mères PCR- (tableau 4).
Les recherches virales au sang de cordon ont été négatives dans tous les cas (tableau 5). Tous les nouveau-nés ont été testés par PCR dans les 24 heures de la naissance. Tous les résultats ont été négatifs (tableau 5).
Charge virale maternelle et sévérité clinique
Dans le plasma maternel, la recherche de SARS-CoV-2, a toujours été négative (tableau 5). Le délai médian entre prélèvement et début des symptômes était de 13 jours (intervalle interquarile [IIQ] : 2-32). Une virémie a été retrouvée chez une des 11 patientes du groupe témoins non gravides. Le prélèvement a été réalisé 13 jours après le début des symptômes, et le taux était de 2,4 log10 copies/ml.
Dans les sécrétions respiratoires maternelles, la deuxième recherche de SARS-CoV-2, dont les résultats sont rapportés ici, a été réalisée après un délai médian de 13 jours (IIQ : 1,8 - 31,8) après le début des symptômes. Elle s’est avérée positive chez 11 des 64 patientes du groupe PCR+ (tableau 5).
Dans les sécrétions respiratoires maternelles, le virus est plus souvent détecté en cas d’affection sévère. La charge virale moyenne mesurée dans les sécrétions respiratoires est similaire dans l’ensemble des patientes PCR+, qu’elles soient enceintes ou non : 3,8 (2,4) log10 copies/ml versus 4,8 (2,4) log10 copies/ml (p = 0,31).
Commentaire
Aucun cas de virémie n’est retrouvé chez les mères lors du bilan virologique. Cette constatation est corroborée par l’absence de détection du virus au niveau placentaire, comme nous le verrons plus loin. Dans la littérature, une virémie est présente chez 10 à 15 % des sujets atteints de Covid-19 (hommes et patientes non gravides). L’absence de cas de virémie dans la présente série concorde avec l’existence possible d’un mécanisme de défense antivirale chez la femme enceinte. On a en effet décrit au cours de la grossesse une augmentation de réponse antivirale des cellules natural killer et des lymphocytes T, démontrée pour certains virus, par exemple celui de l’influenza A. Cette réponse lymphocytaire accrue s’observe au niveau périphérique comme au niveau du placenta.
Dans la même optique, on peut remarquer la disparition rapide du virus dans les voies respiratoires, puisque, même dans les formes cliniques les plus sévères (sévérité modérée, avérée et formes critiques), le taux de positivité est d’à peine un tiers lors du deuxième prélèvement (tableau 5).
Présence et transfert transplacentaire d’anticorps anti-SARS-CoV-2
Des IgG anti-protéines virales – anti protéine spike et anti-nucléocapside – sont retrouvées chez plus de la moitié des patientes du groupe PCR+. Elles sont également présentes chez plus de la moitié des nouveau-nés (figure 3 A).
Mais le taux de transfert transplacentaire de ces anticorps est faible. Pour chacun des deux anticorps, il est légèrement supérieur à 0,70 (figure 3 B, tableau 6).
Le taux de transfert transplacentaire des anticorps anti-influenza HA, mesuré comme comparateur, est de 1,44, ce qui correspond bien avec un transfert actif.
Les charges virales élevées dans les sécrétions respiratoires maternelles sont associées à des taux plasmatiques d’IgG anti-protéine spike plus élevés. Mais elles sont également associées à un plus faible taux de transfert transplacentaire des anticorps anti-SARSCoV-2 et à un titre plus faible de ces anticorps dans le sang de cordon.
Commentaire
Le taux de transfert transplacentaire des anticorps anti-SARSCoV-2 est d’environ la moitié de celui habituellement rencontré pour la plupart des anticorps communs, pour lesquels il tourne aux environs de 1,5. Ce phénomène a une conséquence clinique. Un taux plus faible d’anticorps anti-SARS-CoV-2 à la naissance entraîne une moins bonne protection immunologique des nouveau-nés et des nourrissons vis-à-vis de l’infection.
D’ailleurs, la gravité de l’affection Covid-19 est plus élevée chez les nourrissons que chez les enfants d’âge plus avancé.
L’étude de D.D. Flannery et coll.(5)
Une autre étude du taux de transfert transplacentaire des anticorps anti-SARS-CoV-2 est également parue récemment. Elle fait état de résultats apparemment divergents. Ici, sont inclues 83 mères ayant à l’accouchement des anticorps dirigés contre le domaine de liaison au récepteur de la protéine virale spike. Comme on peut le voir dans le tableau 7, le taux de transfert transplacentaire de ces anticorps est proche de 1. En outre, D.D. Flannery et coll. démontrent également l’absence d’IgG au cordon même en cas d’atteinte Covid-19 maternelle sévère ou en cas d’accouchement prématuré. Il s’agit d’un élément de plus en faveur de l’absence de transmission materno-fœtale.
Commentaire
La différence de taux de transfert transplacentaire d’anticorps entre les études d’A.G. Edlow et coll. et D.D. Flannery et coll. semble expliquée par la prise en compte du délai écoulé depuis le début de l’infection. D’après ces derniers auteurs, le taux de transfert augmente en effet avec le délai écoulé entre la découverte d’une PCR positive et l’accouchement (r = 0,620 ; p < 0,001). Cette observation mérite d’être prise en compte quand on envisage la stratégie de protection vaccinale.
Analyses placentaires
Anatomo-pathologie
On n’observe pas de signes d’atteinte inflammatoire ni de lésions spécifiques dans les placentas des patientes positives pour le SARSCoV-2 examiné. Des lésions témoignant d’une mauvaise perfusion vasculaire maternelle sont retrouvées dans 16 des 44 placentas examinés. Le risque de présenter ces lésions placentaires est corrélé à la gravité clinique de la maladie maternelle. En revanche, il n’y a pas de corrélation entre une charge virale élevée dans les sécrétions respiratoires et l’existence d’une pathologie placentaire. Par comparaison, des anomalies d’atteinte vasculaire de même type sont retrouvées dans 8/44 placentas des patientes négatives pour le SARS-CoV-2 (p < 0,06).
Présence d’ARN viral dans le placenta
On ne retrouve l’ARN de SARSCoV-2 dans aucun des 44 placentas de patientes PCR+ examinés. Cette constatation, déjà mentionnée plus haut, suggère l’existence d’un mécanisme de défense placentaire antivirale.
Récepteurs tissulaires du virus SARS-CoV-2
L’immunohistochimie met en évidence la présence de molécules d’ACE-2, le récepteur du virus, au niveau du syncytiotrophoblaste des villosités choriales (figures 1 et 2). Ces molécules sont surtout présentes au niveau du versant stromal de ces cellules, et peu du côté du sang maternel. L’autre molécule nécessaire à l’internalisation du virus dans la cellule cible, la TMPRSS2 (encadré), est quant à elle pratiquement indétectable au niveau du syncytiotrophoblaste des villosités.
Commentaire
L’absence de signes inflammatoires, comme la non-détection de virus au niveau du placenta, concorde avec la faible prévalence de la transmission materno-fœtale du SARS-CoV-2. Parmi les mécanismes potentiellement impliqués dans la protection du fœtus qui en découle, on peut évoquer un mécanisme général, l’augmentation des mécanismes de protection antivirale au cours de la grossesse ; et un mécanisme local, l’absence de colocalisation des deux protéines qui doivent agir simultanément pour permettre l’entrée du virus dans une cellule cible. Ceci contraste avec d’autres virus, dont on connaît la facilité de passage transplacentaire (CMV, Zyka), pour lesquels les récepteurs sont fortement exprimés dans le placenta.
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