Publié le 12 déc 2024Lecture 6 min
SFMP 2024 : mauvais vécu du déclenchement et implication des femmes dans les décisions de médicalisation
Laura BOURGAULT, Nantes
Organisé en octobre 2024, le 53ème Congrès de la Société française de médecine périnatale (SFMP) a été l’occasion de se pencher sur différents sujets ayant trait au déroulé de l’accouchement. Sage-Femme Pratique en publie un compte-rendu.
Déclenchement et mauvais vécu de l’accouchement : un lien à considérer
D’après la communication de Sophia Braund, Paris
A quel point le déclenchement de l’accouchement va-t-il exposer les femmes à un mauvais vécu de la naissance de leur enfant ? Dans quelles mesures la méthode de déclenchement choisie va-t-elle influer sur ce ressenti ? Autant de questions posées par Sophia Braund, doctorante au Centre de Recherche en Epidémiologie StatistiqueS (CRESS) et son équipe*.
Pour y répondre, les chercheurs ont exploité les données de l’Enquête nationale périnatale (ENP) 2021, en utilisant les informations complétées à 2 mois. Les mères qui ont répondu à la question « Quel est votre vécu de l’accouchement ? » ont été classées en deux groupes : « bon vécu » et « mauvais vécu ». Tous les critères de l’accouchement ont par ailleurs été relevés : travail spontané, déclenchement avec ou sans maturation cervicale, mode de début de travail. D’autres caractéristiques ont été isolées : « les complications de l’accouchement, la douleur et le travail prolongé, afin d’en estimer les effets indirects et résiduels », complètent les chercheurs.
Un mauvais vécu de l’accouchement pour 16,4% des femmes déclenchées
Au total, 6 721 femmes ont été inclues dans l’étude. Parmi elles, 1 800 mères ont été déclenchées pour leur accouchement. Un acte indiqué dans la très grande majorité des cas pour optimiser le bon déroulé de la naissance, mais qui reste associé à une mauvaise expérience comparé au travail spontané. Dans le détail, 16,4% des femmes déclenchées gardaient un souvenir négatif de leur accouchement, contre 8,8% pour les femmes ayant donné la vie naturellement.
Pour certaines mères, ce mauvais vécu peut aller jusqu’à engendrer une dépression du post-partum. Cette attteinte dont souffre 17% des mamans constitue le premier facteur de risque de suicide maternel, et expose les enfants à des troubles de développement.
En conclusion :
« Le déclenchement artificiel du travail est significativement associé au mauvais vécu de l’accouchement. Dans un contexte d’augmentation globale des taux de déclenchements, notre étude montre l’importance de considérer le vécu de l’accouchement quand un déclenchement est envisagé »
« Il semble nécessaire d’étudier, à partir de données nationales en population, l’association entre le déclenchement, le vécu de l’accouchement et le risque de dépression du postpartum »
« Ces éléments nouveaux pourront permettre une meilleure prise en charge psychologique des femmes en périnatalité, et éventuellement de renforcer le suivi en cas de situation à risque augmentée de dépression du postpartum »
*Camille Le Ray, gynécologue-obstétricienne à la Maternité de Port-Royal (Paris), Francois Goffinet, gynécologue-obstétricien spécialisé en pédiatrie et échographie gynécologique à la Maternité de Port-Royal (Paris), ENP2021 Study Group – EPOPé, Inserm, CRESS
Médicalisation de l’accouchement : impliquer les patientes dans les processus de décision (maternETHIC)
D’après la communication de Lucie Abiola, Angers
Ce premier sujet sur le lien entre le déclenchement et le mauvais vécu de l’accouchement pose inévitablement la question de la médicalisation des naissances. Et ouvre la problématique encore plus large de l’implication des femmes dans les processus de décision sur cette même médicalisation.
« Comment les femmes sont-elles impliquées dans les décisions les concernant lors de la naissance ? Existe-t-il des freins à cette nécessaire implication pour une décision partagée ? », interroge dans la lignée Lucie Abiola(1), sage-femme au CHU d’Angers et autrice d’une thèse intitulée "MaternETHIC. Entre obligations légales, demandes sociétales et gestion du risque biomédical : quelle éthique du consentement et de l’information pour l’accouchement en milieu hospitalier ?".
32 entretiens qualitatifs
Avant de répondre à cette question, posons le constat suivant: le souhait des femmes et des couples de vivre une grossesse et un accouchement le moins médicalisé possible dissone avec la gestion du risque au cœur des prises en charge en gynécologie-obstétrique. Sans compter « les normes professionnelles, les contraintes systémiques et les représentations » associées aux soins obstétricaux, étaye Lucie Abiola et son équipe composée entre autres de Léo Coutellec(2) de de Guillaume Legendre(3). Autant de potentiels freins à l’implication des femmes dans le processus de décision.
Pour aller plus loin, les chercheurs ont mené 32 entretiens avec des gynécologues-obstétriciens et des sages-femmes. Des échanges doublés de 30 jours d’observations dans quatre maternités. L’analyse thématique des résultats a ensuite été réalisée à l’aide du logiciel N’Vivo. Les différentes regards, celui d’une sage-femme, d’un gynécologue obstétricien, d’un philosophe et d’une sociologue, ont permis de cerner le sujet sous plusieurs prismes.
Sécurisation fœtale, consentement, manque de confiance
Que retenir de ces entretiens ? « Différents concepts influencent la pratique obstétricale quotidienne » et vont donc fragiliser voire empêcher l’implication des femmes dans les processus de décision concernant la médicalisation de leur accouchement, qu’il s’agisse de rupture artificielle des membranes, d’épisiotomie, d’utilisation d’instruments (forceps…) :
« Le prisme sécuritaire fœtal est la norme principale justifiant la médicalisation de la naissance. »
« Le consentement éclairé est décrit comme utopique par les soignants et son encadrement légal est méconnu. »
« Un malaise relationnel est ressenti, notamment un manque de confiance des femmes en l’intentionnalité des soignants, biaisant ainsi la relation. »
« Les contraintes systémiques imposées aux soignants (conditions de travail par exemple) sont source d’insatisfaction symbolique voire de souffrance éthique entraînant un évitement émotionnel ou une fatigue compassionnelle. »
A la porte des violences obstétricales ?
Le manque d’implication des femmes dans ces processus de décision pose aussi la question des violences obstétricales, associées à tout « acte médical, posture, intervention ,non appropriés ou non consentis », comme le rappelait l’Académie de médecine en 2018.
Le contexte étant le suivant : la pratique de gestes et d’actes certes médicalement justifiés mais qui n’ont pas fait l’objet d’une information claire dans le but d’obtenir le consentement de la patiente et l’impact sur les mère n’est pas des moindres. Ainsi, l’absence de place des femmes dans les processus de décision sur la médicalisation de leur accouchement augmente leur risque d’insatisfaction. Un sentiment également nourri par le sentiment de perdre le contrôle sur la situation, le sentiment de peur, l’intensité de la douleur.
Cette impossibilité pour les femmes à jouer un rôle dans ce processus de décision peut engendrer des troubles psychiques, des états de stress post-traumatique. Ce dernier se traduit par des reviviscences de l’événement, un réflexe d’évitement, un sentiment d’hyper vigilance, des troubles de la cognition et de l’humeur. Sur le long terme, le risque de comorbidités telles que des troubles dépressifs et addictifs est majoré chez la mère et des troubles de l’attachement à l’enfant.
Principe éthique d’autonomie, information et consentement éclairé
Dans la pratique, le recueil du consentement peut s’avérer compliqué, même impossible, dans les situations d’urgence pour la santé de la mère et de l’enfant. Des situations d’urgence qui sont le plus souvent associées à un vécu violent de l’accouchement. Et même quand il est possible, le recueil du consentement n’est pas encore institué en tant que norme, les soignants n’étant d’ailleurs pas formés à cette approche. Pour que cette pratique soit intégrée dans la routine, « nous proposons ici une réflexion sur les valeurs communes facilitant les pratiques émancipatrices pour les parturientes », souligne Lucie Abiola.
L’enjeu pour les soignants n’est autre que de « réduire l’impuissance des femmes en les impliquant mieux dans les décisions les concernant pendant l’accouchement, et ainsi améliorer le vécu et les éventuelles séquelles psychologiques. Cette implication des femmes répond au principe éthique d’autonomie et aux obligations légales d’information et de consentement éclairé », conclut Lucie Abiola.
1. CESP-Inserm, U1018, Research in Ethics and Epistemology (R2E), Paris-Saclay University, Inserm, Paris, France
2. Léo Coutellec est maître de conférences en épistémologie et éthique des sciences contemporaines à l’université Paris-Saclay. Il dirige l'équipe « Recherches en éthique et épistémologie » au sein du CESP (U1018, Université Paris-Saclay, INSERM)
3. Guillaume Legendre, gynécologue obstétricien au CHU d’Angers
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