Publié le 11 oct 2023Lecture 6 min
Administration anténatale de corticoïdes en cas de menace d’accouchement prématuré : peut-on diminuer la posologie ? Résultat d’un essai randomisé en double aveugle
Daniel ROTTEN, Paris
Schmitz T, Doret-Dion M, Sentilhes L et al. Neonatal outcomes for women at risk of preterm delivery given half dose versus full dose of antenatal betamethasone: a randomised, multicentre, double-blind, placebo-controlled, non-inferiority trial. Lancet 2022 ; 400 : 592-604.
L’administration anténatale de corticoïdes s’accompagne d’une diminution d’incidence des syndromes de détresse respiratoire aiguë lorsque survient une naissance prématurée. On observe également une plus faible incidence de morts néonatales, d’hémorragies intraventriculaires et d’entérocolites ulcéronécrosantes. La posologie de corticoïdes la plus généralement utilisée est une cure composée de deux injections intramusculaires de bétaméthasone de 11,4 mg chacune, séparées de 24 heures.
Cependant, des expérimentations animales et des données humaines, issues d’études tant observationnelles que randomisées, ont mis en évidence que les corticoïdes administrés dans ces conditions peuvent avoir un effet délétère, même si leur amplitude est faible. Les conséquences sur la croissance somatique et sur le système nerveux central ont été les mieux caractérisées, avec un effet-dose. En conséquence, la recommandation professionnelle actuelle est de limiter au strict nécessaire la répétition des cures, même lorsque la grossesse se poursuit au-delà d’une semaine après la cure (fenêtre au cours de laquelle l’efficacité des corticoïdes est maximale).
Parallèlement, peut-on abaisser la posologie administrée lors de la cure sans perdre en efficacité ? Pour répondre à cette interrogation, Thomas Schmitz et coll. ont réalisé un essai clinique, comparant l’efficacité de cures de posologie réduite de moitié (soit une seule administration de 11,4 mg de bétaméthasone) par rapport à la posologie standard (11,4 mg x 2). La qualité et l’importance de l’étude réalisée ont justifié sa publication dans la revue britannique généraliste The Lancet.
Protocole de l’étude
L’essai réalisé est multicentrique (37 centres périnatals de type III répartis sur l’ensemble de la France), randomisé, en double aveugle, et contrôlé par placebo. Les inclusions se sont déroulées de 2017 à 2019.
• Critères d’inclusion. Femmes d’âge ≥ 18 ans, chez lesquelles est posé le diagnostic de menace d’accouchement prématuré. Critères d’éligibilité : terme < 32 SA, dilation du col < 4 cm, longueur du col mesurée en échographie < 20 mm, foetus unique, ne présentant pas d’anomalie structurelle.
• Randomisation. Elle est faite après l’injection de la première dose de 11,4 mg de bétaméthasone. Après 24 heures, la moitié des patientes reçoit une deuxième injection de 11,4 mg de bétaméthasone (groupe « dose standard »). L’autre moitié reçoit une injection de placebo (groupe « demi-dose »). Si par la suite une cure de corticoïdes de rattrapage est estimée nécessaire par les praticiens en charge de la patiente, elle sera de composition identique à celle de la première cure.
• Critères de jugement. Ils sont de trois ordres.
– Critère de jugement principal : nécessité d’administrer du surfactant par voie trachéale au cours des 48 premières heures de vie.
– Critères de jugement secondaires : il s’agit des diverses complications liées à une naissance prématurée, en particulier celles habituellement prévenues par l’administration de la dose complète (décès néonatal avant la sortie, hémorragie intraventriculaire de grade 3-4, entérocolite ulcéronécrosante de grade ≥ 2, rétinopathie nécessitant l’injection de VEGF ou une application de laser). Sont également mesurées l’incidence des autres complications liées à la prématurité, qu’elles soient respiratoires (soit immédiates, soit à 36 semaines d’âge post-menstruel), neurologiques, viscérales, etc. ainsi que les complications éventuellement attribuables aux corticoïdes, comme le retentissement sur le développement somatique ou les anomalies métaboliques.
• Analyse statistique. Le critère de jugement principal fait l’objet d’une analyse de non-infériorité : l’équivalence d’efficacité sera affirmée si la nécessité d’administrer du surfactant par voie trachéale au cours des 48 premières heures de vie dans le groupe « demi-dose » ne dépasse pas de plus de 4 % le pourcentage observé avec la « dose standard » (et plus précisément si la limite supérieure de l’intervalle de confiance de cette différence ne franchit pas ce seuil).
Résultats
Les données de 3 196 nouveau-nés sont analysables. L’âge gestationnel était < 32 SA dans tous les cas, et < 28 SA dans 40,6 % lors de l’inclusion. La cause du risque d’accouchement prématuré est une entrée en travail prématurée ou une rupture prématurée des membranes dans deux tiers des cas, une prééclampsie ou un retard de croissance dans un quart des cas.
– Critère de jugement principal : parmi les 1 567 nouveau-nés qui ont reçu une demi-dose, 312 (20,0 %) ont nécessité une injection intratrachéale de surfactant, contre 276 (17,5 %) parmi les 1 574 qui ont reçu une dose complète. La différence est de 2,4 % (IC 95 % : -0,3 à 5,2 %, p = 0,13) (figure). L’intervalle de confiance franchit la limite fixée au préalable de 4 %. La demi-dose n’est donc pas équivalente à la dose complète.
Des analyses de sous-groupes montrent que ce résultat est observé que l’âge gestationnel lors de la randomisation d’une part, ou lors de la naissance d’autre part, soit < 28 SA ou compris entre 28 SA et 32 SA. Une analyse a posteriori suggère que la nécessité d’administrer du surfactant est plus élevée avec la demi-dose lorsque la naissance a lieu dans l’intervalle de 7 jours qui suit l’injection de la première dose. La différence d’incidence est alors de 11,0 % (IC 95 % : 2,3-19,8) (figure).
– Critères de jugement secondaires : aucune différence statistique n’a été relevée en termes de mortalité néonatale ou concernant la survenue de diverses complications en rapport possibles avec une naissance prématurée. En particulier, on n’observe pas de différence d’incidence du taux de syndromes de détresse respiratoire aiguë (différence de 1,0 %, IC 95 % -2,0 à 1,1) ou du taux de bronchodysplasies. La seule différence entre les deux groupes concerne une donnée anthropomorphique. Le périmètre céphalique, exprimé sous forme de Z-score, est légèrement plus élevé dans le groupe demi-dose.
Figure. Efficacité comparée « demi-dose » versus « dose standard ».
Courbe du haut, ensemble de la population : une administration intratrachéale de surfactant est nécessaire chez 20,0 % des nouveaux-nés
qui ont reçu une demi-dose contre 17,5 % de ceux qui ont reçu la dose complète, soit une différence de 2,5 %.
L’intervalle de confiance à 95 % de la différence franchit la limite de non-infériorité fixée au préalable,
soit 4%. La demi-dose n’est donc pas équivalente à la dose complète.
Courbe inférieure, naissance survenant dans les 7 jours après la 1ère injection de bétaméthasone :
la nécessité de pratiquer une administration intratrachéale de surfactant est plus élevée dans le groupe demi-dose.
Au total
En cas de menace d’accouchement prématuré avant le terme de 32 SA, l’administration anténatale de corticoïdes à une dose réduite de moitié ne fait pas preuve d’une équivalence d’efficacité par rapport à la dose standard habituelle. Ce résultat est observé lorsque l’évaluation porte sur l’ensemble de la population testée ou les menaces d’accouchement prématuré à un terme < 28 SA. On observe même une augmentation du nombre de nouveau-nés qui nécessitent l’administration intratrachéale de surfactant dans les 48 premières heures de vie lorsque la naissance a lieu dans l’intervalle de 7 jours qui suit l’injection de la première dose. En se basant sur cette étude, un changement de pratique n’est donc actuellement pas indiqué.
La question n’est toutefois pas définitivement tranchée. En effet, la différence d’incidence de la complication entre les deux groupes, soit 2,4 %, est numériquement faible, et la presque totalité des complications habituellement attribuées à la naissance prématurée n’est pas affectée. Dans ces conditions, l’analyse du comportement des enfants à distance, vers l’âge de 5 ans, pèsera de manière importante. A ce terme, la constatation d’anomalies neurologiques, neurosensorielles ou de comportement pourrait remettre en cause les conclusions tirées de l’évaluation à court terme.
Publié dans Gynécologie Pratique
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