Publié le 22 mar 2018Lecture 5 min
Violences contre les professionnels de santé : que fait la police ?
Aurélie HAROCHE
Paris, le mardi 20 mars 2018 – La plupart des médias qui ont relayé l’information fournissent une présentation similaire. Bien que les violences dont elle a été victime aient entraîné la prescription de dix jours d’interruption temporaire de travail (ITT), l’infirmière n’a pas porté plainte, indiquant « comprendre la douleur de la famille, tout en rappelant qu’elle n’a fait que son travail » note France Bleu.
La réalité serait un peu différente. Les faits remontent au 15 mars à Fos-sur-Mer. Une infirmière libérale accompagnée d’une étudiante effectuent des soins à domicile chez une patiente en soins palliatifs. Au cours de la visite, la vieille dame meurt. Ce décès, prévisible, provoque cependant une colère irrépressible chez la famille de la patiente qui frappe, injurie et menace les deux intervenantes et choisit même de les séquestrer. L’intervention de la police, alertée par le médecin traitant (contacté secrètement par l’infirmière), est nécessaire pour libérer les deux professionnelles. Bien qu’ayant été témoin en partie de la violence de la situation, la police a cependant, selon le Syndicat national des infirmières et infirmiers libéraux (SNIIL), dissuadé l’infirmière et son étudiante de porter plainte et ont eu tendance à « minimiser les événements ». Seule une main courante a finalement été déposée.
Police nulle part…
Cette attitude de la police face aux violences subies par les infirmières n’est pas isolée. Le SNIIL rapporte également le cas d’une infirmière de Perpignan qui, le 18 mars, a été confrontée aux injures et menaces de représailles physiques de l’époux d’une patiente qu’elle prenait en charge à domicile. Là encore, les forces de police, remarquant qu’aucun coup n’avait été donné et signalant une forte activité de leurs services, ont convaincu la professionnelle d’éviter la plainte et de se contenter d’une main courante « malgré le fait qu’un autre patient de l’infirmière habite le même immeuble, que cela l’oblige donc à revenir sur les lieux matin et soir tous les jours et que l’agresseur a promis "qu’il ne s’arrêterait pas là" » précise le syndicat. On est bien loin avec ces deux exemples de l’attention vigilante des forces de l’ordre vis-à-vis des violences subies par les professionnels de santé, réclamée à l’occasion de plusieurs conventions, signées notamment par les représentants des médecins. Cette situation révolte le SNIIL qui insiste : « ces infirmières (…) doivent avoir les mêmes droits à l’empathie des fonctionnaires de police que tout policier, enseignant ou médecin, agressés eux aussi dans l’exercice de leur profession (…) et ce d’autant plus que l’on assiste à une multiplication des actes de violence au quotidien à l’encontre de ces professionnels ».
… violence partout
De fait, au-delà de l’immobilisme préoccupant des forces de l’ordre, faut-il redouter une progression des violences contre les professionnels de santé à l’hôpital et en ville, qui serait un symptôme supplémentaire de la faillite du système, déjà signalée par les difficultés rencontrées dans les services d’urgences que nous évoquions notamment ? Alors que les journaux régionaux abondent de témoignages dans ce sens (telle la description de la crise de violence qui a conduit un patient, pourtant infirmier libéral, à asséner de multiples coups contre un médecin, deux infirmiers, un ambulancier et deux agents de sécurité à l’hôpital de Riom), plusieurs médecins urgentistes interrogés par Europe 1 ont également évoqué une hausse des insultes, menaces et autres débordements.
En ville également, le climat est délétère. Début mars, un médecin généraliste de Bobigny, agressé en pleine consultation par un "caïd" du quartier, a laissé éclater son inquiétude face à la dégradation de la situation. « Il suffit d’être violent pour obtenir ce qu’on veut », remarquait-il interrogé par Europe 1.
Haine sur internet : une escalade pas virtuelle
La violence, par ailleurs, peut également être virtuelle. Nombre de professionnels ont déjà pu constater les effets délétères des messages de haine publiés contre eux sur internet. À l’hôpital Robert Pax de Sarreguemines, on prend ce type de déferlement très au sérieux. La semaine dernière, un parent mécontent de la façon dont son nourrisson avait été pris en charge par l’établissement a publié un message insultant et violent sur internet. Ce texte a été partagé à 70 000 reprises et a reçu 14 000 commentaires : la teneur des propos était souvent glaçante. Intimidation, injures, propos racistes pouvaient notamment être lus. Cette vindicte virtuelle n’est pas sans laisser des traces. « J’entends des retours négatifs sur les urgences pédiatriques. Sur les 25 patients reçus avant-hier en consultation, huit à dix nous ont confié avoir eu des retours négatifs. On leur dit : "N’allez surtout pas là-bas, il n’y a que des incompétents" » témoigne dans le Républicain Lorrain, le docteur Karim Lounis, chef de service. Considérant la situation fortement épineuse, la direction de l’établissement a diffusé sur les réseaux sociaux un message se voulant apaisant, qui a été l’occasion d’un nouveau déferlement de critiques. « Nous ne tolérons pas ces atteintes aux personnes, à l’image de l’établissement et à ses missions de service public, même si nous avons connu des événements fâcheux par le passé et pu commettre des erreurs » martèle le directeur de l’établissement Jean-Claude Kneib. Aujourd’hui, le climat est tel que ce dernier n’exclut pas une certaine escalade en préconisant, si les médecins l’approuvent, le refus de prise en charge de ceux « qui salissent l’image de l’hôpital et de nos professionnels. En consultation programmée, un médecin a le droit de refuser un patient, dès lors qu’il n’est pas confronté à une situation d’urgence » estime-t-il.
Tendre un miroir pas déformé
Si une telle réponse témoigne du désarroi des équipes mais ne pourrait guère être adaptée et satisfaisante, on peut observer avec plus d’intérêt l’initiative d’un hôpital australien à Melbourne qui, pour sensibiliser les patients, a choisi de diffuser dans les salles d’attente un clip qui est un condensé de différentes images prises par les caméras de surveillance et qui montrent les agissements de certains patients. L’idée de ce montage s’est imposée face à une augmentation des coups et injures : 7 500 incidents ont été recensés en 2017, un chiffre qui a été multiplié par quatre en quatre ans. « On espère que cela aura un effet positif sur les gens qui l’auront vu » explique Susan Harding, responsable du service infirmier des urgences et qui a contribué à la réalisation du clip.
Distorsion
Si une telle initiative pourrait avoir un impact, elle n’est sans doute pas suffisante pour répondre à un problème majeur, qui nécessite une fois encore une intervention rapide du ministère de la Santé, qui ne peut plus se contenter des sondages plébiscitaires où les Français déclament leur amour et leur respect pour les professionnels de santé. Car la réalité confirme une très forte distorsion entre ces déclarations et ce qui se passe dans la vraie vie.
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