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Obstétrique

Publié le 02 oct 2024Lecture 11 min

Cholestase gravidique : épidémiologie, définition et bilan

Charles GARABEDIAN, Clinique d’obstétrique, ULR 2694-METRICS, CHU de Lille
Cholestase gravidique : épidémiologie, définition et bilan

La cholestase gravidique a fait l’objet récemment de recommandations pour la pratique clinique du Collège national des gynécologues-obstétriciens français, dans l’objectif de déterminer les stratégies permettant de réduire la morbidité maternelle et périnatale associée à la cholestase gravidique (1). Découvrez le consensus établi autour de la définition et du diagnostic différentiel du bilan.

La cholestase gravidique est la plus fréquente des hépatopathies spécifiques de la grossesse et probablement l’une des moins sévères(2). Sa prévalence est classiquement de 1 % de l’ensemble des grossesses à travers le monde(3). Elle est plus importante dans certaines zones géographiques (Amérique du Sud, Scandinavie), et il existe de grandes variations selon les critères diagnostiques (0,1 à 2 %)(4). Facteurs de risque L’incidence de la cholestase gravidique est plus élevée chez les femmes de plus de 35 ans, ayant une grossesse multiple, après fécondation in vitro, présentant une hépatite C avant la grossesse, une hépatite chronique, et des calculs biliaires(4,5). Certains travaux ont laissé penser que l’administration de progestérone était susceptible d’augmenter le risque de cholestase gravidique, notamment parce qu’il a été rapporté à partir d’études animales que les métabolites de la progestérone pouvaient jouer un rôle dans l’accumulation des acides biliaires et la physiopathologie de la cholestase gravidique(6). Toutefois, les données issues d’essais randomisés récents concernant la prévention de la prématurité sont rassurantes et ne mentionnent pas d’augmentation de l’incidence de la cholestase gravidique chez les femmes prenant un traitement à base de progestérone en comparaison à celles n’en prenant pas. Les recommandations pour la pratique clinique élaborées par le Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) en 2016 concernant la prévention de la prématurité spontanée concluaient que l’administration de progestérone n’était pas associée à un risque accru de cholestase gravidique (NP3)(6). Les incidences élevées dans certaines ethnies ainsi que des histoires familiales ont suggéré l’existence d’une prédisposition génétique. Il est en effet maintenant établi que la conjonction d’altérations génétiques constitutives retrouvées dans la séquence de gènes impliqués dans la sécrétion biliaire canaliculaire et du puissant effet inhibiteur exercé par les stéroïdes sexuels féminins à forte concentration sur l’expression de ces gènes concourent au risque de cholestase gravidique(7,8). Des variations nucléotidiques rares de la séquence du gène ABCB4, codant le transporteur canaliculaire des phospholipides MDR3, sont observées dans près de 15 % des cas de cholestase gravidique. Des variants rares d’autres gènes impliqués dans la sécrétion et l’homéostasie biliaire (ABCB11, ATP8B1, NR1H4, ABCC2) ont été identifiés de manière plus sporadique, soulignant la complexité et l’hétérogénéité génétique de la maladie. L’allèle [C] du polymorphisme c.1331T> C (p.A 444V) du gène ABCB11, gène codant le transporteur canaliculaire des acides biliaires BSEP, transporteur impliqué dans la cholestase intrahépatique familiale progressive de type 2 (PFIC2) chez l’enfant et la cholestase intrahépatique récurrente bénigne de type 2 (BRIC2) chez l’enfant et l’adulte, est associé à un surrisque de cholestase gravidique et de cholestase induite par les œstroprogestatifs. Conséquences périnatales et maternelles De nombreuses études ont suggéré un lien entre cholestase gravidique et complications périnatales(9-12). La principale étude est la métaanalyse publiée par Ovadia et coll. en 2019, incluant 23 études observationnelles prospectives et rétrospectives (5557 cas de cholestase intrahépatique de la grossesse et 165136 témoins)(4). Pour les grossesses uniques, le risque de mort fœtale in utero (MFIU) était plus élevé en cas de cholestase gravidique par rapport aux témoins (odds ratio [OR] : 1,46; IC 95 % : 0,73-2,89; I² = 59,8 %) avec une variation en fonction du taux d’acides biliaires, notamment en cas de taux supérieur à100μmol/Lvs inférieur à 40 μmol/L (Hazard Ratio [HR] : 30,50 [8,83- 105,30]; p < 0,0001). Le risque de prématurité spontanée était également plus élevé que dans la population témoin (OR : 3,47; IC 95 % : 3,06-3,95), tout comme le risque de prématurité induite (OR : 3,65; IC 95 % : 1,94-6,85). Enfin, en comparaison avec le groupe témoin, le risque de liquide amniotique méconial était plus élevé (OR : 2,60; IC 95 % : 1,62- 4,16), tout comme le risque de transfert en réanimation néonatale (OR : 2,12; IC 95 % : 1,48-3,03). Concernant les complications maternelles, la principale est la survenue d’un prurit qui peut être très invalidant. Il n’y a pas de complication sévère maternelle associée ni de conséquence à long terme(8). Définition de la cholestase gravidique La définition de la cholestase n’est pas consensuelle au niveau international. Dans une revue comparant 6 recommandations nationales, Bicocca et coll. retrouvaient en effet des variations dans les éléments cliniques et biologiques de la définition ainsi que dans les seuils utilisés(13). Quatre items sont retenus comme critères de diagnostic selon les différentes sociétés : le prurit, les acides biliaires, les transaminases et les gGT.   Le prurit Le principal symptôme, présent dans environ 95 % des cas, est un prurit apparaissant le plus souvent au 3e trimestre, plus rarement au 2e trimestre dans les formes les plus sévères(2). Le prurit est isolé, sans douleur ni fièvre. Il est habituellement généralisé mais prédomine le plus souvent aux extrémités, au niveau de la paume des mains et de la plante des pieds. Occasionnel au début, il peut rapidement devenir permanent (diurne et nocturne) et être responsable d’irritabilité, d’asthénie, voire d’insomnie. Le prurit disparaît habituellement dans les jours qui suivent l’accouchement. En dehors des lésions de grattage secondaires au prurit, il n’existe pas de lésion cutanée, à l’inverse de ce qui est observé dans les dermatoses prurigineuses de la grossesse. La manière d’évaluer l’intensité du prurit dans les études est très variable. Elle peut se faire à l’aide d’un score côté de 0 à 4 (encadré)(14). Dans l’essai PITCHES comparant l’acide urso-désoxycholique à un placebo dans la prise en charge de la cholestase gravidique, un des critères de jugement secondaire était la mesure maternelle du pire épisode de prurit dans les 24 dernières heures sur une échelle visuelle analogique sur 100 mm(15).   Les acides biliaires totaux Le dosage des acides biliaires totaux est un élément classique du diagnostic dans de nombreuses recommandations, avec un seuil retenu de 10 μmol/L(16). Dans une revue Cochrane publiée en 2019, Manzotti et coll. ont sélectionné 11 études sur ce sujet(17). Si l’on considère le seuil de 10 μmol/L pour la concentration sérique des acides biliaires totaux, seuil majoritairement retenu et étudié, la sensibilité globale était de 91 % (IC 95 % : 72-98 %), et la spécificité de 93 % (IC 95 % : 81-97 %). Toutefois, il n’existe pas de gold standard pour calculer la sensibilité et la spécificité de ce dosage. En effet, la méthodologie de ces études repose principalement sur la comparaison d’un groupe témoin à un groupe cholestase gravidique. Cette dernière est définie dans la majorité des études par l’association d’un prurit et des anomalies biologiques, dont l’élévation des acides biliaires. Par exemple, Brites et coll. ont évalué l’intérêt du dosage des acides biliaires dans le diagnostic de cholestase gravidique(18). Ils ont inclus 20 patientes non enceintes, 38 avec une grossesse normale et 39 avec une grossesse marquée par une cholestase gravidique définie par un prurit sévère, une modification des transaminases et/ou de la bilirubine conjuguée, une absence de signes évocateurs d’autres pathologies, un bilan sérologique d’hépatite virale négatif et… une élévation des acides biliaires à jeun. Ainsi l’élément étudié entre déjà dans le diagnostic de la maladie rendant caduque le calcul de la sensibilité et de la spécificité. La définition de ce seuil de 10 μmol/L d’acides biliaires pour retenir le diagnostic de cholestase gravidique est donc très critiquable. L’autre point important est le moment de réalisation du dosage des acides biliaires par rapport au dernier repas. La Society for Maternal-Fetal Medicine (SMFM) recommande de le réaliser à tout moment en se basant sur l’étude d’Adams et coll. qui a pourtant retrouvé une différence du taux en fonction de la journée(19,20). En effet, ces auteurs ont comparé les taux d’acides biliaires à jeun et après ingestion de 100 g de sucres chez 10 femmes enceintes sans pathologie(19). Le taux était de 3,4 ± 2,1 µmol/L à jeun (H0), 4,2 ± 2,5 µmol/L à 1 heure post prise de glucose (H1), et 5,6 ± 3,7 µmol/L à 3 heures (H3). Une différence significative était observée entre H0 et H3. Les échantillons analysés dans la plupart des études sur la cholestase gravidique ont été obtenus de manière aléatoire(16). Toutefois, dans la série de Mitchell et coll. évaluant les variations des acides biliaires à différents temps de la journée en cas de grossesse non compliquée (n = 23 au maximum), il était retrouvé des différences essentiellement en postprandial immédiat (à 20 minutes et à 1 heure) en post-déjeuner (résultats exprimés en μmol/L : 3,0 [1,0-7,0]) à jeun, 5,0 (3,0-8,0) et 5,0 (1,0-13,0) à respectivement 1 heure et 2 heure post-petit déjeuner, 10,5 (4,0-19,0), 12,5 (7,0-20,0) et 6,0 (1,0-11,0) à respectivement 20 minutes, 1 heure et 3 heures du déjeuner (tableau 1)(21). Cette étude montre ainsi une variation du taux en fonction du moment de réalisation des acides biliaires, les valeurs minimales étant observées à jeun. On peut toutefois noter que les effectifs sont très faibles dans chaque groupe. La cholestase gravidique est classée en sévère en cas de pic d’acides biliaires ≥ 40 μmol/L). Le nombre de prélèvement pour chaque groupe et à chaque temps est indiqué à côté de la valeur des acides biliaires. Résultats présentés en médiane (Q1-Q3).   La dernière étude évaluant les valeurs des acides biliaires pendant la grossesse est celle de Huri et coll. récemment publiée(22). Il s’agit d’une étude italienne évaluant chez 612 femmes les valeurs des acides biliaires à jeun (528 dosages réalisés après 8 à 14 heures de jeûne) et en postprandial (377 dosages à 2 heures du déjeuner). Étaient incluses des femmes avec un IMC compris entre 17 et 40 kg/m2 et avec une grossesse monofœtale au-delà de 37 SA. Étaient exclues les femmes avec des anomalies du bilan hépatique et à risque ou avec un diagnostic de cholestase gravidique. Ils retrouvaient une médiane à 7,6 μmol/L à jeun avec une limite supérieure (97,5e percentile) de 14,1 μmol/L (IC 95 % : 12,7- 15,5 μmol/L). En postprandial, la médiane était de 9,1 μmol/L avec une limite supérieure à 20,2 μmol/L (IC 95 % : 17,3- 32,3 μmol/L). Les intervalles de référence ainsi établis étaient de 4,4-14,1 μmol/L pour les acides biliaires à jeun, et de 4,7-20,2 μmol/L en postprandial. Lors du dosage à jeun, 15,7 % des femmes dépassaient le seuil de 10 μmol/L. Il est intéressant de noter que les valeurs étaient plus élevées en hiver. Au final, les auteurs proposent de modifier le seuil diagnostique à 14 μmol/L à jeun et à 20 μmol/L en postprandial. Cette étude présente plusieurs forces : l’effectif est important, elle a lieu dans un pays avec une population proche de la nôtre, et la mesure est standardisée avec exclusion des cas suspects ou à risque de cholestase gravidique. Les limites sont toutefois le caractère monocentrique, la sous-représentativité des patientes non blanches et le dosage à terme. Les auteurs rappellent toutefois l’absence de corrélation entre la valeur des acides biliaires et l’âge gestationnel(21). L’augmentation du seuil permettrait de diminuer les diagnostics de forme peu sévère sans retentissement obstétrical et ainsi les interventions telles que la surveillance accrue et le déclenchement. Cette étude est intéressante mais ne rapporte que les valeurs des acides biliaires de femmes asymptomatiques (c’est-à-dire sans prurit). De plus, la plupart des études observationnelles comme interventionnelles réalisées chez les femmes ayant une cholestase gravidique ont pris comme critère diagnostique un seuil d’acide biliaire à 10 µmol/L en accord avec la majorité des recommandations internationales. Pour ces raisons, il ne semble pas approprié de modifier sur la seule étude de Huri et coll. le seuil de 10 µmol/L pour le diagnostic d’une cholestase gravidique. Le groupe d’experts propose de réaliser le dosage à jeun (à défaut au même moment de la journée), et de retenir le seuil de 10 µmol/L pour considérer le diagnostic de cholestase gravidique. Les transaminases L’augmentation de l’activité sérique des transaminases est observée dans la majorité des cas (85 % des cas dans une série de 84 patientes)(14). L’augmentation des transaminases est généralement comprise entre 2 et 10 fois la valeur seuil du laboratoire(7) et concerne surtout les ALAT plutôt que les ASAT(18). Le seuil retenu ne fait pas consensus et le groupe de travail propose de retenir le seuil supérieur à 2N pour le diagnostic de cholestase. La γGt Les gamma glutamyltranspeptidases (GGT) sont habituellement norma les en ca s de cholestase gravidique. Dans leur étude rétrospective de 84 patientes, Kondrackiene et coll. retrouvaient une augmentation des GGT (supérieurs à 3N) dans seulement 11 % des cas(14). Dans l’essai PITCHES, les moyennes (intervalle de confiance 95 %) étaient respectivement de 23,3 U/L (20,6- 26,4) et 21,0 U/L (19,0-23,2) dans les groupes « acide ursodésoxycholique » et « placebo », pour une norme habituelle de laboratoire comprise entre 5 et 30 U/L(15). Ainsi, le dosage des GGT est inutile pour le diagnostic de cholestase gravidique. Diagnostic différentiel Les principaux diagnostics différentiels devant un prurit pendant la grossesse sont une dermatose prurigineuse de la grossesse ou une allergie. Concernant la survenue d’une élévation des transaminases pendant la grossesse, il convient d’éliminer une prééclampsie ou un HELLP syndrome dissocié, une obstruction des voies biliaires, une hépatite virale (surtout A, B, ou C), une primo-infection à cytomégalovirus, HSV ou EBV, et une hépatopathie d’origine médicamenteuse ou auto-immune. La persistance d’anomalies des tests hépatiques trois mois après l’accouchement doit faire rechercher une hépatopathie chronique telle qu’une cirrhose biliaire primitive, une cholangite sclérosante, ou surtout une cholestase chronique liée à un déficit héréditaire d’un transporteur biliaire. Bilan Un bilan complémentaire (en dehors des transaminases et des acides biliaires) est proposé par de nombreuses sociétés savantes afin d’éliminer les diagnostics différentiels, le diagnostic de cholestase gravidique étant considéré par celles-ci comme un diagnostic d’élimination(23,24). Il comprend habituellement : – un bilan biologique : hémogramme avec plaquettes, bilan hépatique (ASAT, ALAT, GGT), créatininémie, protéinurie, taux de prothrombine,sérologies des hépatites A, B, C, E,sérologie EBV, HSV et CMV ; – un bilan d’imagerie : échographie du foie et des voies biliaires. La série française de Donet et coll. a repris 254 cas de cholestase gravidique entre janvier 2012 et septembre 2018(25). Parmi ces patientes, seulement la moitié avait eu avait un bilan à la recherche de diagnostic différentiel. Leur série rapporte seulement un cas d’obstruction biliaire diagnostiqué infirmant le diagnostic de cholestase gravidique. Aucune autre anomalie n’avait été identifiée lorsqu’un bilan avait été réalisé. Ainsi, le groupe d’experts propose qu’il ne soit pas réalisé de bilan complémentaire (en dehors des transaminases et des acides biliaires), en l’absence de symptômes évocateurs d’un diagnostic différentiel.   Ce texte est issu des recommandations pour la pratique clinique du CNGOF concernantla cholestase gravidique publié dans le journal Gynécologie Obstétrique Fertilité et Sénologie(1). Article écrit au nom du groupe des Recommandations pour la pratique clinique du CNGOF concernant la cholestase gravidique : L. Sentilhes L, M-V. Sénat, H. Bouchghoul, P. Delorme, D. Gallot, Ch. Garabedian, H. Madar, NSananès, Fr Perrotin, T. Schmitz. L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cet article.

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