Publié le 13 déc 2012Lecture 7 min
Sport et grossesse
A. DIGUET, CHU de Rouen
Les possibilités d’une activité sportive en cours de grossesse sont l’objet d’idées préconçues... rarement démontrées.
Des notions… de faible niveau de preuve
On peut lire que le sport serait responsable de fausses couches, contractions utérines et accouchements prématurés, d’effets tératogènes (par hyperthermie, hypoxie, et accroissement des hydrates de carbone), ainsi que de défauts de développement et donc de retard de croissance intra-utérin (RCIU). De même, les antécédents de RCIU, souffrance fœtale aiguë, diabète ou hypertension seraient des contreindications absolues au sport en cours de grossesse(1). Cette notion que le sport serait responsable de contractions utérines et de prématurité repose sur peu d’études. Il s’agit souvent d’extrapolations à partir de ce qui a pu être observé chez des femmes ayant une activité professionnelle en position debout continue. Si des études ont objectivé que, proche du terme, le sport provoque des contractions (augmentées en fréquence, durée et amplitude), elles notaient également un rétablissement de l’activité de base après l’exercice(2). Le lien direct entre activité sportive et prématurité n’est donc pas clairement démontré. À l’opposé, certains soutiennent qu’il existe une adaptation physiologique pendant la grossesse, et que, loin d’être contreindiqué, le sport est fortement conseillé. Là encore, les arguments peuvent prêter à discussion et les publications sont de faible niveau de preuve. Quelques cas sont rapportés, et l’on est davantage dans le cadre de « l’Histoire du Sport » que dans l’essai randomisé. Les auteurs indiquent qu’il n’y a aucun signe de stress foetal chez les mères entraînées, sportives avant la grossesse. Ainsi, le célèbre cas d’une marathonienne ayant poursuivi son entraînement jusqu’au terme de 36 SA est-il relaté, sans retentissement foetal, ni altération des performances, avec relative conservation des paramètres cardiologiques et respiratoires(3). D’autres arguent que la grossesse a été utilisée dans certains pays comme « dopants physiologiques » avant certaines compétitions, où l’on mettait en exergue l’« épanouissement » gravidique du début de grossesse permettant d’améliorer les performances.
Quelques rappels physiologique
Une revue de la littérature retrouve peu de démonstrations probantes et les recommandations sont plutôt empiriques. Ainsi, Stevenson(4) indiquait que « l’exercice régulier et modéré pendant une grossesse sans pathologie présente un risque minimal pour les femmes et leur(s) fœtus ». Pour autant, « le style de vie sédentaire généralement adopté en fin de grossesse ne reflète-til pas un phénomène culturel plutôt que physiologique » ?(5). La réalité… physiologique est que le foetus a besoin d’un approvisionnement constant en O2 et substrats. Pendant l’exercice, une diminution du flux utérin moyen d’environ 25 % a été notée, linéaire et corrélée à l’intensité et à la durée de l’exercice, mais si les résistances utérines augmentent, il n’y aurait pas de retentissement fœtal majeur. Avec l’aérobic « lent », fort prisé outre-atlantique, le métabolisme maternel serait moins élevé, mais le stress foetal plus important. Cependant, si la FC fœtale augmente, il n’a jamais été objectivé de détresse fœtale au décours d’une activité sportive normale. De même, si les fœtus présentant un RCIU sont plus fragiles, avec une moindre adaptation lors de l’exercice, il n’y a pas d’argument clair pour incriminer cette activité dans le retard de croissance.
• En cours de grossesse, des modifications respiratoires et cardio-vasculaires sont observées. Au repos, le volume courant pulmonaire s’accroît, mais la capacité résiduelle fonctionnelle baisse, réalisant un « mixage » plus efficace pour les gaz ; une quantité d’O2 quasiment inchangée est ainsi disponible durant l’exercice. La fréquence cardiaque (FC) maternelle est augmentée lors de l’exercice et au décours ; la pression artérielle augmente un peu, de même que la fraction d’éjection systolique(5).
• Comparativement à la période préconceptionnelle, la réponse respiratoire ne diffère pas lors de l’effort, mais celle de l’unité fonctionnelle foeto-maternelle baisse pour maintenir les apports en O2 et substrats. La consommation utérine d’O2 est maintenue et la compensation se fait par plusieurs phénomènes : hémoconcentration, redistribution vasculaire avec augmentation du volume plasmatique, accroissement de l’extraction d’O2. Cette situation est limitée et il semble raisonnable d’éviter les efforts « suboptimaux ». Par ailleurs, le coût énergétique de la prise de poids se surajoute à celui de l’exercice et les performances baissent. D’autres modifications métaboliques et endocriniennes ont été décrites, mais les interactions entre catécholamines, endorphines et estrogènes ne sont pas encore très claires.
• De plus, chez la femme enceinte, tout n’est pas lié aux notions de performance, et il existe des problèmes positionnels : au repos, l’utérus gravide obstrue partiellement la veine cave inférieure, et l’exercice en position de supination accentue la baisse du débit cardiaque en fin de grossesse, à l’origine d’hypotension. Au niveau statique, l’augmentation du poids s’associe à une modification du centre de gravité et à une hyperlordose (risque de hernie discale), ainsi qu’à une modification de la laxité ligamentaire (relâchement des tendons et articulations). Il existe donc une instabilité et un risque de chute plus important.
• Enfin, certains auteurs ont évoqué les problèmes de thermorégulation, mais s’il est vrai que l’exercice augmente la température corporelle, celle-ci dépasse rarement 1 à 2 degrés, provoquant peu de changement métabolique, hémodynamique, ou des concentrations en catécholamines foetales. Remarquons, cependant, que les connaissances expérimentales établies sur l’animal, en particulier le mouton, ne sont pas transposables à l’humain.
Sport et alimentation
Selon Sternfeld(6), « chez les femmes en bonne santé, bien nourries (en dehors de toute carence), l’exercice est sans risque durant la grossesse et peu sujet à restriction ». À ce propos, notons que, chez les sportives de haut niveau, il existe une tendance à la réduction de l’apport alimentaire visant à conserver un poids stable et à poursuivre ainsi une activité optimale. C’est dans ces situations de possible carence nutritionnelle et déséquilibre alimentaire qu’il y a risque de retentissement sur la croissance fœtale.
On préconisera donc une alimentation équilibrée tant en qualité qu’en quantité, un apport hydrosodé suffisant et éventuellement une supplémentation en fer, magnésium et vitamines. D’un autre côté, l’exercice interfère avec l’équilibre glycémique et l’American Diabetes Association considère « qu’une activité physique régulière durant la grossesse constitue une thérapie adjuvante » intéressante, en particulier chez les femmes obèses dont l’IMC est > 33, quand l’euglycémie n’est pas obtenue par le régime seul(7). Une activité physique de 30 minutes de marche quotidienne peut ainsi aider à améliorer l’équilibre glycémique en cas de diabète gestationnel.
Les sports contre-indiqués
Le bon sens conduit à contreindiquer certains sports violents, à risque traumatique : sport de combat, sport motorisé, etc.
De plus, l’activité sportive doit toujours rester aérobie en restreignant l’activité physique intense tant au niveau métabolique qu’hormonal. Les effets de l’anaérobie sont moins bien connus, mais il est clair que les sports en haute altitude (> 2 000 mètres) et la plongée sousmarine sont contre-indiqués du fait du risque d’hypoxie. En ce qui concerne la plongée, une défaillance utéro-placentaire est possible, même à faible profondeur. En effet, chez le fœtus, la persistance du foramen ovale et l’absence de poumon fonctionnel rendent la filtration des gaz inertes (azote) non réalisable, et les micro-bulles peuvent être libérées par les tissus dans le système vasculaire à l’origine d’une ischémie tissulaire, notamment cérébrale.
Les sports possibles
La natation présente un effet favorable au niveau cardiovasculaire et des risques orthopédiques moindres. En eau propre et sans plonger, associée à une activité d’aquagym, elle peut être réalisée jusqu’au terme. La gymnastique, notamment rythmique et d’assouplissement, le golf, la marche à pied ou la course sur terrain souple et plat sont également envisageables. Parmi les conseils de bons sens, il faut rappeler à nos patientes qu’on ne s’improvise pas sportive de haut niveau et qu’il serait déraisonnable de débuter une activité sportive durant la grossesse pour éviter la prise de poids ! Choisir une activité nouvelle au cours de la grossesse doit se faire avec discernement et, si les recommandations américaines(8) considèrent que les femmes enceintes doivent être encouragées à réaliser, voire à engager une activité physique régulière, elles précisent les contre-indications absolues et relatives de cette même activité sportive comme l’aérobic. Un sage conseil est de ne pratiquer qu’un sport que l’on peut arrêter immédiatement.
Évolution obstétricale
Contrairement à ce qui avait été décrit historiquement, il ne semble pas y avoir plus de bassin androïde chez les sportives, ni de périnée résistant. Il semble que la durée totale et notamment la phase d’expulsion soient diminuées avec un accouchement moins douloureux. Pour le post-partum, et en l’absence de pathologie, aucune étude n’a publié d’effet nocif de la reprise rapide de l’activité sportive. Les recommandations de l’ACOG préconisent une reprise progressive au-delà des 4 à 6 semaines. Chez les femmes allaitant, la combinaison d’un régime adapté à une activité aérobie conduirait à la perte d’1 kg/semaine, plus sûrement que le régime seul qui réduit uniquement la masse maigre. Cependant, des études à plus long terme sont nécessaires pour confirmer ces données. Pour d’autres auteurs, les femmes reprenant une activité sportive à quelques semaines du post-partum présenteraient moins d’anxiété et de dépression que les femmes sédentaires. Si les recommandations américaines tendent à favoriser une activité sportive et physique globale en l’absence d’antécédent médical ou obstétrical particulier, on peut penser qu’il s’agit là de notions associant bons sens et principe de précaution. Pour autant, chez les femmes sportives avant la grossesse, il est probable que ces recommandations soient quelque peu restrictives. On conseillera une activité sub-optimale et toujours aérobie.
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