Publié le 01 juin 2018Lecture 8 min
Améliorer l’accueil du nouveau-né : bénéfices des stimulations multimodales
Laurence VAIVRE-DOURET*, AP-HP, Paris
La peau est l’organe du tact et du toucher, un des premiers sens à se développer et le plus étendu. Son origine embryonnaire est la même que celle du système nerveux.
In utero, la surface cutanée du bébé et ses organes de l’équilibre sont sollicités par le liquide amniotique et par les pressions de son propre corps contre les parois utérines, par les divers mouvements et déplacements de la mère, ainsi que par la voix maternelle.
Ce corps en mouvement fournit précocement au bébé des informations proprioceptives et vestibulaires, positionnement du corps dans l’espace, prenant leur origine dans les récepteurs articulaires et musculaires de la peau. Cela constitue les prémices des expériences corporelles du bébé et en particulier de son expérience spatiale du corps, positions et perception des mouvements, auxquelles viendront s’ajouter d’autres apports provenant des autres sens, odorat, ouïe et plus tardivement de la vision. S’élaborent ainsi les premières expériences corporelles progressivement structurées du bébé, à l’intérieur de l’enveloppe contenante formée par l’utérus.
L’apport de divers travaux atteste que les systèmes sensoriels et moteurs sont fonctionnels à différents degrés, selon un certain ordre de mise en jeu (cutané, sensibilité vestibulaire ou équilibration, goût, olfaction, audition, vision), avant même que la maturation des structures nerveuses ne soit terminée. L’exercice à proprement parler de chaque système s’est déjà plus ou moins renforcé dans le milieu utérin. En effet, pendant la période de gestation, se mettent en œuvre des séquences tout à fait opérationnelles de boucles ou connexions neuro-motrices et sensitivo-sensorielles (Vaivre-Douret, 1997 ; Vaivre-Douret et Burnod, 2001).
La sensorialité et la motricité sont donc étroitement liées. C’est leurs enrichissements, ainsi que leurs organisations, en unimodalité, transmodalité, et de différenciation, qui vont permettre un développement psychomoteur et affectif harmonieux dans un contexte sécurisant où la discontinuité prendra sa place pour faire émerger des invariants et la présence absence de l’adulte envers le bébé sur lesquels se fonderont un accordage affectif (Stern, 1989) et progressivement l’intersubjectivité du nourrisson (Trevarthen, 1979). L’intersubjectivité désignant le vécu profond qui fait ressentir au bébé que soi et l’autre, cela fait deux.
L’approche que nous proposons aux parents et soignants à travers les stimulations multimodales s’inscrit dans le cadre du programme PMSE que nous avons mis au point (Vaivre-Douret, 2003, 2009) dans l’élaboration d’un dialogue corporel adulte-enfant et d’une bienveillance parent-bébé.
Le corps et les mouvements constituent en effet les premiers moyens privilégiés d’expression du bébé et suscitent les réactions et ajustements de l’adulte. Entre eux, s’établit une communication préverbale sensorielle et tonico-émotionnelle, où le bébé est à la fois récepteur, acteur et spectateur. Le dialogue corporel qui s’instaure est d’emblée chargé d’affects et a un statut de véritable langage chargé de sens. Le corps constitue donc le premier lieu d’échange émotionnel primordial avec le milieu extérieur, lieu où s’organisent les comportements et conduites.
Ce programme est conçu dans la perspective de respecter et de favoriser la qualité de vie par des soins appropriés au développement du bébé de façon continue pour lui assurer une trajectoire développementale optimale, sur la base de la prise de conscience par l’adulte, parent ou soignant, des compétences effectives du bébé. Il est ainsi organisé en quatre secteurs qui recouvrent les principales situations d’approche du corps du bébé au cours des soins quotidiens.
- « P » concerne les différents modes de Portage du bébé, corps à corps, ainsi que l’utilisation des dispositifs de portage (harnais…), en tenant compte de l’organisation motrice et sensorielle du corps ;
- « M » les manœuvres et Manipulations pour les gestes quotidiens au cours du déplacement du corps du bébé au cours des changes et des soins pour le soulever et le retourner, le prendre dans les bras et le reposer. Et nécessaires dans le cadre de la méthode d’éveil par le « toucher sensori-tonico-moteur » (Vaivre-Douret, 2003 ; Vaivre-Douret, Oriot, Blossier et al., 2009) ;
- « S » Sollicitations par la méthode d’éveil par le « toucher sensori-tonico-moteur » avec des actions de guidage et de conseils pour l’éveil du développement psychomoteur.
- « E » la prise en compte de l’Environnement du bébé en tenant compte d’une part, du mode de couchage de celui-ci, avec notamment les effets du positionnement d’éveil et de sommeil qui ne sont pas sans conséquence sur le développement tonico-postural du bébé. Des conseils posturaux sont proposés avec l’aide de dispositifs développementaux tel que « Coconou® » (Vaivre-Douret, 2000) pour prévenir les déformations, contractions et l’inconfort et favoriser un développement psychomoteur optimal. D’autre part, l’aménagement de l’espace physique, avec des mobiles, jouets, etc…, est évalué de façon appropriée aux compétences du bébé ainsi que l’utilisation des dispositifs, cosy, etc…, qui ne sont pas sans conséquence sur le développement tonico-postural du bébé.
Le « toucher sensori-tonico-moteur » ou « toucher STM » est une méthode d’éveil de toucher sollicitant les cinq sens, apportant des stimulations multimodales, ce qui est différent des méthodes classiques de massage et parcourant le corps du bébé de façon à favoriser la liberté de mouvements pour mieux lutter contre les forces de la gravité (Vaivre-Douret, 2003).
L’originalité de la méthode du « toucher STM » est de la réaliser sur un matelas d’eau spécifique de forme ovalaire, le « Vestibulo » (Vaivre-Douret, 2000), facilitant l’apprentissage du contact, et sollicitant un des premiers sens « le sens proprioceptif » qui s’établit à partir des sensations vestibulaires en lien avec l’oreille interne, et des sensations kinesthésiques issues des muscles et articulations, fournissant au bébé des informations sur la position des différentes parties du corps nécessaires au contrôle et à la maturation de l’équilibration posturale.
Nous partons du postulat que le bébé arrive à la naissance avec un bagage de potentiels sensoriels et moteurs dont il a déjà constitué des répertoires. De plus, il existe dès la naissance de nombreuses liaisons fonctionnelles intermodales et plurimodales, ainsi que des liaisons entre les différents systèmes sensoriels, posturaux et organiques, par exemple : coordination oculo-motrice, régulation cardio-respiratoire, etc. Ainsi une modification du tonus de posture peut entraîner un changement de rythme cardiaque et respiratoire. En fait, les différents systèmes, étant fonctionnels à différents degrés à la naissance, maintiennent en permanence un niveau d’activation des neurones.
Nous sollicitons en premier lieu les systèmes sensoriels les plus matures, sensibilité cutanée, proprioceptive et vestibulaire, car ils sont mis en place depuis longtemps in utero, dès la 7e semaine de gestation, et différents travaux attestent depuis longtemps les effets des stimulations tactiles et kinesthésiques par le massage (Korner et Thoman, 1972 ; Clark, Kreutzberg et Chee, 1977 ; Field et al., 1986 ; White-Traut et Beth Carrier Goldman, 1988 ; Scafidi et al., 1990 ; Mathai et al., 2001, Vaivre-Douret et al., 2008 et 2009).
Sur le matelas d’eau, le bébé se déploie spontanément, la proximité de l’eau sollicite son expérience labyrinthique antérieure mémorisée, donnant au parent émerveillé une image réelle de ses compétences motrices spontanées. Les parents s’expriment assez facilement à travers ce préliminaire : le matelas d’eau est un médiateur qui laisse une certaine distance de sécurité pour le parent angoissé par le premier toucher et constitue ainsi une excellente amorce au suivi.
Nous proposons aussi un fond musical, musique douce, sans rupture de rythme et d’intensité, évoquant l’eau et rappelant les sonorités intra-utérines. Ce support musical constitue pour l’adulte une guidance gestuelle d’où émanent rythmicité, régularité, apaisement et harmonie du mouvement, et il renforce l’atmosphère sécurisante et privilégiée. Ce support procure une détente musculaire et émotionnelle à la personne qui pratique et d’autre part pour le bébé, une sollicitation auditivo-sensorielle qui concorde avec les autres afférences sensorielles qui lui sont apportées, en augmentant son état de vigilance d’éveil calme. En même temps, il minimise les bruits de fond parasites qui n’ont pas de concordance avec l’action en jeu.
Les différentes parties du corps sont alors parcourues de façon développementale (proximo-distal), permettant en période néonatale, d’une part la continuité par du peau à peau entre la mère et l’enfant, transposant le contact très étroit de la grossesse et d’autre part, en assurant l’intégration d’une coordination sensori-motrice comme le retournement activo-passif guidé qui représente un schème sensori-moteur à point de départ proprioceptif. Ce schème sert de base essentielle chez l’enfant pour l’organisation de son axe corporel, tête-tronc, et lui permettra de mettre en œuvre ses premières compétences de coordinations motrices actives nécessaires à toute coordination motrice globale ou fine plus tardive.
Nous avons pu démontrer sur des nouveau-nés fragiles dits prématurés, les bienfaits des stimulations multimodales avec une huile végétale sur le développement somatique, croissance, métabolisme, aspects cutanés, et l’éveil neuro-psychomoteur (Vaivre-Douret, 2010). Cette étude est la seule randomisée en France à ce jour (Vaivre-Dour et al., 2008, 2009).
Cette approche par le toucher « sensori-tonico-moteur » offre l’occasion d’une relation étroite et privilégiée entre la mère et son enfant qui vont, dans la gestuelle, s’apprivoiser mutuellement favorisant la mise en place des interactions parent-bébé, nécessaires au développement harmonieux du bébé. Le parent peut ainsi entrer en interaction et en communication plus confiante avec son bébé, autrement que par le seul regard ou par le bout des doigts, et dans une riche plurimodalité sensorielle, il peut ainsi apaiser sa crainte de « lui faire mal », de le « casser », tout en assurant au bébé un bien-être et une prévention développementale d’un point de vu neuro-psychomoteur.
Ce programme PMSE (Vaivre-Douret, 2009) peut s’inscrire dans une politique de soins qui s’élargit à la prise en charge globale de la trajectoire développementale du bébé en tenant compte de son environnement et développement physique, social et affectif.
Au-delà d’un simple programme, la pratique de l’approche corporelle par des stimulations multimodales suscite l’échange réciproque parent-bébé de sensations, de postures et d’actions au cours desquelles se mêlent les affects et s’instaure un dialogue préverbal corporel prophylactique sur le chemin de la bientraitance.
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