Publié le 11 jan 2024Lecture 11 min
Retour sur les Journées IHAB 2023
Catherine FABER, Saint-Mandé, Journées IHAB 2023
En France, 67 maternités ont reçu le label Hôpital Ami des Bébés, dont 27 avec un service de néonatologie. Mais qu’est-ce que l’Initiative Hôpital Ami des Bébés (IHAB) qui attire un nombre croissant d'établissements ? Pour le savoir, retour sur les Journées IHAB 2023, dont nous vous proposons des morceaux choisis, et a rencontré Béatrice Mestdagh, pédiatre à la maternité Jeanne de Flandres et coordinatrice IHAB, qui nous fait partager son expérience.
Plaidoyer pour une généralisation effective de l’entretien postnatal précoce
• D’après la présentation d’A. Chantry, professeure de maïeutique, Université Paris Cité, Inserm U 1153, équipe Epopé
Le nombre de contacts des femmes avec un professionnel de santé est beaucoup plus important pendant la grossesse qu’après l’accouchement. Dans le cadre des « 1 000 premiers jours », surtout après la naissance, les professionnels sont appelés à dispenser des conseils sur de multiples thèmes concernant l’enfant, à favoriser les interactions parent-enfant et à repérer les situations de violences intrafamiliales ou à risque de ces violences. Jusqu’à récemment, ceci était réalisé lors de la première visite postnatale – en général – et de la visite postnatale à 6-8 semaines qui n’est pas systématiquement dédiée. Or, le postpartum est une période cruciale pour la santé mentale maternelle. Des enquêtes récentes ont en effet montré que 16,7 % des femmes vont développer une dépression du postpartum(1) et que le suicide, identifié comme l’une des deux premières causes de décès maternels (avec les maladies cardiovasculaires), survient dans la majorité des cas après l’accouchement(2). Dans ce contexte, la mise en place de l’EPNP représente une avancée majeure pour les femmes et les enfants. Obligatoire depuis le 1er juillet 2022, il est réalisé par un médecin ou par une sage-femme entre les 4e et 8e semaines suivant l’accouchement. Si besoin, un deuxième entretien peut être proposé entre les 10e et 14e semaines postpartum.
Le texte législatif étant vague, les sociétés savantes de sages-femmes ont pris l’initiative d’établir des préconisations pour encadrer l’EPNP. Ces préconisations issues du travail d’une équipe pluridisciplinaire incluant des sages-femmes et des pédiatres, néonatologistes, psychologues précisent que l’EPNP est un temps d’échange et de dialogue, et non une consultation médicale. Ses objectifs sont d’aborder et d’identifier les ressources, les besoins et les attentes des familles, et de prévenir et dépister les troubles psychiques du postpartum. Il doit être réalisé le plus tôt possible, dès le début de la 4e semaine postpartum, pour toutes les femmes, quels que soient leur parité et leur mode d’accouchement. La présence de l’enfant et du coparent est fortement préconisée. Plusieurs thématiques concernant l’enfant, ses parents et son environnement social peuvent être explorées, de façon non exclusive ni systématique, car chaque situation est unique. Pour la prévention du risque suicidaire, il est préconisé d’utiliser l’échelle EPDS (Edinburgh Postpartum Depression Scale). Un score ≥ 11 est considéré comme la valeur seuil pour orienter les femmes. Pour faciliter leur orientation, mais aussi celle des coparents et des enfants, les professionnels de santé qui effectuent les EPNP doivent pouvoir s’appuyer sur un réseau pluriprofessionnel. Une synthèse relue par la femme lui est remise à la fin de l’entretien. L’EPNP est remboursé à 70 % par l’Assurance maladie. Sa prise en charge à 100 % n’est pas à l’ordre du jour. Elle permettrait de le rendre accessible à toutes les femmes.
1. Doncarli A et al. Bull Épidémiol Hebd 2023 ; (18) : 348-60.
2. 6e rapport de l’Enquête Nationale Confidentielle sur les Morts Maternelles (ENCMM), 2013-2015. Saint-Maurice : Santé Publique France, 2021.
Le programme des 1 000 premiers jours en 2023, et après…
• D’après la présentation de M. Iron, directrice de projet « 1 000 premiers jours de l’enfant » au secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales
L'accompagnement des 1 000 premiers jours de l’enfant est devenue une politique prioritaire du gouvernement. L’année 2023 est celle de la poursuite et du renforcement des actions engagées dans le cadre de ce programme lancé en 2020, en attendant l’application de la deuxième feuille de route annoncée en juillet dernier et en cours de finalisation. L’idée pour les quatre prochaines années est de rassembler autour des 1 000 jours trois indicateurs clés déjà suivis dans la feuille de route initiale que sont l’entretien prénatal précoce (obligatoire depuis mai 2020) et l’EPNP, avec pour objectif de les rendre plus systématiques, ainsi que le recours au congé paternité. Mise en place en avril 2021, la première feuille de route a permis des avancées sur l’entretien prénatal précoce et sur les maternités au moment de la naissance, mais aussi dans leur rôle de coordination, de repérage, d’accompagnement postpartum, et de lien avec les PMI. Des expérimentations « Référent parcours périnatalité » sont ainsi menées dans quatre territoires, dont un dans les Outre-mer. Sa généralisation s’appuiera sur les résultats de ces expérimentations pilotes. Un service d’accompagnement à la parentalité des personnes en situation de handicap ou ayant un enfant en situation de handicap s’est également déployé dans les régions. Des efforts importants ont été réalisés autour de l’information des parents, avec un site internet dédié, le « sac des 1 000 premiers jours » remis aux parents lors de leur séjour à la maternité (dont l’expérimentation vient de se terminer) et une application mobile (déjà téléchargée par 200 000 personnes), ainsi que sur la qualité de l’accueil du jeune enfant. Le congé paternité, qui n’avait pas évolué depuis 18 ans, a été allongé et rendu obligatoire. Les appels à projets lancés dès 2021 ont permis de voir émerger une mobilisation des territoires et des acteurs d’horizons différents pour porter le projet des 1 000 premiers jours. Concernant la nouvelle feuille de route, différents enjeux ont été identifiés par rapport à la précédente : rendre le parcours toujours plus lisible ; aller au-delà des 3 ans de l’enfant avec un travail sur la détection précoce des pathologies comme les troubles du neurodéveloppement ; conforter la place du père/coparent et intégrer le congé paternité dans une approche plus globale (actuellement, tout le parcours est conçu autour de la mère) ; en termes de santé mentale, aller encore plus loin que l’EPNP en s’intéressant à la question de l’aval ; approfondir la prise en charge des plus vulnérables notamment des enfants en situation de précarité avec une détection plus systématique des situations sociales en lien avec le Pacte des solidarités. Il est également important de continuer la dynamique territoriale en soutenant de nouveaux projets (par exemple, l’ouverture de maisons des 1 000 premiers jours) et avec des actions plus ciblées dans certains territoires comme ceux d’Outre-mer dans lesquels les problématiques de santé périnatale se dégradent. Un autre enjeu est de permettre l’accès aux informations sur les nouveaux défis de la santé tout au long du parcours et de définir le meilleur vecteur pour les transmettre.
L’anesthésiste, partie prenante dans l’IHAB
• D’après la présentation de B. Julliac, Maison de Santé Protestante de Bordeaux-Bagatelle, membre du Club Anesthésie-Réanimation en Obstétrique (CARO)
Les trois principes de la démarche IHAB ne sont en rien opposés à la pratique de l’anesthésie en maternité. Quatre des douze recommandations de ce programme* concernent les médecins anesthésistes réanimateurs (MAR). La recommandation 2, qui vise à ce que 80 % des professionnels soient formés à l’allaitement maternel et à ses bénéfices, est compatible avec leur activité. Les MAR peuvent facilement être intégrés dans cette formation, dont la durée sera toutefois adaptée à leur fonction (quelques heures). Elle est utile pour pouvoir aborder les problématiques « médicament et allaitement » et « médicaments tératogènes » de la consultation d’anesthésie. La recommandation 11, à savoir « protéger les familles des pressions commerciales en respectant le Code international de commercialisation des substituts du lait maternel » (code de l’OMS), obéit aussi à la règle des 80 % de professionnels qui, dans ce cadre, doivent connaître l’existence ou non d’une subvention par les laboratoires de substituts du lait maternel et, le cas échéant, son utilisation. Les MAR ne sont pas directement impactés par cette recommandation, mais ils peuvent là encore accéder aisément à l’information.
Pour l’accompagnement pendant le travail et l’accouchement, la démarche IHAB indique qu’il faut « adopter des pratiques susceptibles de favoriser le lien mère-enfant et un bon démarrage de l’allaitement ». La pratique de l’anesthésie ne gêne pas cette recommandation 12 sous réserve que l’équipe accepte que la patiente accouche sans péridurale si elle le souhaite. À noter que les indications médicales de péridurale concernent moins de 20 % des femmes et que l’on peut éventuellement s’adapter avec des techniques de type PCEA (Patient Controlled Epidural Analgesia). La prise en charge complémentaire de la douleur ne pose pas non plus de difficultés. La recommandation 4 va, quant à elle, justifier une réflexion en amont. Elle préconise de « placer le nouveau-né en peau-à-peau avec sa mère immédiatement à la naissance pendant au moins une heure et encourager la mère à reconnaître quand son bébé est prêt à téter, en proposant de l’aide si besoin ». Dans les accouchements par voie basse, les MAR ne sont pas impliqués, mais une organisation est à prévoir pour les césariennes. S’il est plutôt facile d’intégrer l’IHAB pour les césariennes programmées, sa mise en œuvre est plus délicate dans les césariennes en urgence. Dans les situations de super-urgence (code rouge), elle l’est encore plus, mais pas infaisable.
Quelques idées peuvent être proposées pour permett e d’adhérer au label IHAB pour les césariennes comme prévoir pour l’accompagnant un circuit, une identification (par exemple, un pyjama de bloc ou un calot d’une autre couleur) et une zone d’attente. Pour les césariennes programmées, il n’y a aucun problème pour l’accueillir. En revanche son accueil est complexe pour un code rouge, est complexe, mais on prévoit quand même sa place dans l’histoire de cette naissance. Concernant la période post-césarienne immédiate, la salle de surveillance post-interventionnelle peut être organisée de façon à disposer d’une zone isolée pour accueillir le couple à l’image de ce que font déjà les équipes de pédiatrie. Enfin, les équipes lancées dans la démarche IHAB devraient penser à intégrer rapidement au moins un MAR dans le projet, mais sans l’inonder de mails ou de réunions inutiles, et en prévoyant, entre autre, de lui faire visiter une maternité déjà labellisée.
*Des modifications vont être apportées au référentiel IHAB en 2024.
Le modèle du couplet care scandinave en unité de soins intensifs est applicable à la France
• D’après la présentation de S. Rousseau, pédiatre néonatologue, CH de Roubaix
La prise en charge « classique » des nouveau-nés nécessitant des soins techniques de niveau IIB ou III en unité de néonatalogie induit une séparation avec leur mère, dont on sait qu’elle a des effets néfastes sur leur développement cérébral. Comme le montre l’étude Epipage 2 (Étude épidémiologique sur les petits âges gestationnels), le taux de survie à 5 ans sans troubles neurodéveloppementaux plafonne à 40-60 %. On est donc passé d’un objectif de survie des nouveau-nés prématurés ou malades, à un objectif de survie avec un bon développement à long terme, en sachant que la non-séparation mère-bébé est importante pour l’organisation physiologique et neurocomportementale du nouveau-né prématuré ou à terme. Actuellement, l’ouverture des services aux parents 24 h/24 est communément admise, mais ceux-ci sont souvent considérés comme des « visiteurs » de leur bébé. Pourtant, leur présence en néonatalogie a un rôle dans la neuroprotection. Ce besoin de proximité apparaît dans l’IHAB et dans la charte du nouveau-né hospitalisé. Dans le modèle du couplet care ou soins couplés mère-enfant qui a été élaboré en Suède, le nouveau-né prématuré ou malade et sa mère sont pris en charge de façon concomitante, dans la même unité de temps et de lieu, dès la naissance et jusqu’à la sortie d’hospitalisation du bébé. Il permet le peau-à-peau immédiat et prolongé, l’initiation précoce de l’alimentation entérale et l’utilisation prioritaire du lait de la mère sans se contenter du lait du lactarium. Ce modèle a fait la preuve de son efficacité chez les grands prématurés. L’une des trois études positives disponibles démontre la faisabilité et la sécurité du peau-à-peau immédiat en salle de césarienne pour les prématurés entre 28+0 et 31+6 semaines d’aménorrhée(1). Les paramètres physiologiques sont équivalents dans les deux groupes et les enfants du groupe « peau-à-peau immédiat » présentent une meilleure thermorégulation que ceux en incubateur. À la suite d’un changement de structure en 2017, le service de néonatologie de Roubaix (maternité IIB labellisée IHAB depuis 2009) a commencé à prodiguer les soins couplés mère-enfant. Le principe de non-séparation est la règle dès la naissance (y compris pour les prématurés nécessitant un support respiratoire), lors du transfert en néonatologie (réalisé en peau-à-peau), à l’admission dans le service des soins intensifs de néonatologie (accueil immédiat des mères) et durant tout le séjour jusqu’à la sortie au domicile (les mères peuvent choisir de rester dans le service lors de leur sortie d’hospitalisation). La sécurité des mères en postpartum est assurée grâce à la relation 24 h/24 avec la sage-femme (les soins du postpartum sont réalisés dans le service), l’obstétricien et l’anesthésiste, à l’appel malade installé dans toutes les chambres et à la disponibilité d’un chariot d’urgence et d’un défibrillateur. Pour pouvoir intégrer les parents dans les soins et dans le quotidien du service, les unités ont été configurées en respectant les nouveaux standards d’architecture des services de néonatologie. Avec la mise en place du couplet care, le taux de présence nocturne des mères dans le service s’est amélioré. Il est passé de 35,29 % avant 2017 à 68,42 % au 3e quadrimestre 2022 pendant lequel entre 15 et 24 % des pères étaient également présents. Cette expérience montre qu’il est possible, avec une réflexion d’équipe, une philosophie de soins centrés sur l’enfant et sa famille, et une adaptation de l’architecture, de réaliser du couplet care en France.
1. Kristoffersen L et al. BMJ Paediatr Open 2023 ; 7(1) : e00183.
Publié dans Pédiatrie Pratique
Catherine FABER, Saint-Mandé
Journées IHAB 2023
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