Publié le 29 oct 2019Lecture 5 min
Éloignement géographique : impact sur la médicalisation du début de travail et sur l’issue de la grossesse pour le nouveau-né
Lucie Terrier, Dr Elodie Sellier, Claudine Martin, Grenoble
Étude rétrospective menée en 2016 auprès de 1 270 patientes au sein du CHU de Grenoble-Alpes, maternité de niveau III (2 864 accouchements en 2016).
Selon l’Enquête nationale périnatale de 2016, 24 % des femmes se trouvaient à 30 minutes ou plus d’une maternité(1). Or, les deux pactes territoire santé de 2012 et 2015 avaient pour engagement d’investir dans les territoires isolés et notamment de garantir un accès aux soins urgents en moins de 30 minutes(2-3).
But de l’étude
Déterminer si l’éloignement géographique, via la durée approximée du trajet domicile-maternité, est associé à la médicalisation du début de travail et s’il impacte sur l’issue de grossesse et le nouveau-né.
Point méthodologique
L’objectif principal de l’étude était de comparer la durée d’hospitalisation avant l’accouchement des femmes domiciliées à 30 minutes ou plus de l’Hôpital Couple Enfant (HCE) du CHU de Grenoble Alpes (CHUGA) par rapport à celles domiciliées à moins de 30 minutes.
Les objectifs secondaires étaient de comparer entre ces deux groupes :
le nombre de consultations aux urgences obstétricales du CHUGA,
la survenue d’une hospitalisation en cours de grossesse au CHUGA,
les modes : de début de travail et d’accouchement,
l’adaptation à la vie extra-utérine via la présence de méconium dans le liquide amniotique, le score d’Apgar à 5 minutes de vie et le transfert en néonatologie des nouveau-nés.
La sélection des patientes a été effectuée à partir des données du PMSI (Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information) puis les données ont été extraites des dossiers informatisés des patientes. Les critères d’inclusion et d’exclusion sont présentés dans la figure 1.
La durée théorique du trajet domicile maternité a été calculée via Google Maps à partir de la mairie de la commune du domicile des patientes jusqu’à l’HCE en prenant le trajet le plus court avec des conditions de circulation normales.
La figure 2 représente le département de l’Isère, avec délimitée en rouge, une zone comprenant les communes se situant, selon nos méthodes de calcul, à moins de 30 minutes de l’HCE, 30 minutes étant l’objectif gouvernemental d’accès aux soins urgents d’après le Pacte Territoire Santé de 2012(2).
Principaux résultats
Parmi les 1 270 patientes incluses dans l’étude : 1 071 étaient domiciliées à moins de 30 minutes de l’HCE et 199 à 30 minutes ou plus de l’HCE.
Les deux groupes avaient des caractéristiques à l’inclusion comparables en ce qui concerne : la primiparité, l’indice de masse corporelle, la toxicomanie et les antécédents obstétricaux (antécédents d’utérus cicatriciel, de terme dépassé, de mort fœtale in utero, d’accouchement prématuré avant 37 SA). En revanche, les patientes domiciliées à 30 minutes ou plus de la maternité avaient plus souvent : moins de 20 ans (3,5 % versus 1,1 %, p = 0,02), une activité professionnelle (75,4% versus 62,4 %, p < 0,001) et consommaient plus souvent du tabac que ce soit avant la grossesse (30,2 % versus 22,5 %, p = 0,03) ou pendant celle-ci (18,5 % versus 12,7 %, p = 0,04).
Les patientes domiciliées à 30 minutes ou plus de la maternité consultaient moins souvent en urgence au cours de la grossesse (1,9 consultations versus 2,2, coeff = -0,28, IC95 % [-0,52 ; -0,04], p = 0,02), différence qui restait statistiquement significative après ajustement (acoeff = -0,33, IC95 % [-0,57 ; -0,08]). La survenue d’une hospitalisation en cours de grossesse au CHUGA n’était pas différente entre les deux groupes (OR = 0,81, IC95 % [0,56 ; 1,17], p = 0,27).
La durée d’hospitalisation (OR = 1,76, IC95 % [-2,62 ; 6,14], p = 0,43), les modes de début de travail (OR = 0,9, IC95 % [0,6 ; 1,3 pour les déclenchements et OR = 1,4, IC95 % [0,8 ; 2,3] pour les césariennes, p = 0,27) et d’accouchement (OR = 1,1, IC95 % [0,8 ; 1,6], p = 0,51) ne différenciaient pas entre les deux groupes.
Les nouveau-nés des patientes domiciliées à plus de 30 minutes de la maternité naissaient plus souvent prématurés avant 37 semaines d’aménorrhées (11,6 % versus 6,6 %, OR = 0,54, IC95 % [0,3 ; 0,9], p = 0,02], différence qui restait statistiquement significative après ajustement (ORa = 1,8 ; IC95 % [1,1 ; 3,0]. Ils étaient plus souvent transférés en néonatologie (10,1 % de transfert versus 4,5 % ; OR = 2,4 ; IC95 % [1,4 ; 4,1], p = 0,003), différence qui n’était plus significative après ajustement sur l’âge gestationnel à l’accouchement et la consommation de tabac pendant la grossesse (ORa = 1,37 ; IC95 % [0,66 ; 2,83), p = 0,39).
Discussion
Notre étude ne montre pas d’association entre l’éloignement de la maternité et la durée d’hospitalisation, ce qui est en contradiction avec une étude antérieure qui retrouvait une augmentation des hospitalisations supérieures ou égales à 24 h avant l’accouchement chez les patientes à plus de 30 min de leur maternité(4).
Les taux de prématurité et de transfert en néonatologie étaient plus élevés pour les patientes éloignées de la maternité, ce qui n’avait pas été retrouvé dans deux études antérieures(5,6). La maternité du CHU de Grenoble est une maternité de niveau III, accueillant des patientes jugées à risque. Il est possible que les patientes les plus éloignées aient été plus à risque d’accouchement prématuré, indépendamment de l’éloignement. Ou il est possible que les patientes les plus éloignées de la maternité aient été moins bien suivies pendant la grossesse. Une étude complémentaire avec analyse des facteurs de risque maternels à l’accouchement prématuré ainsi que l’analyse du parcours de soins est à envisager. Ceci permettrait de dégager les facteurs inhérents au terrain des patientes à ceux inhérents à l’organisation des soins.
Notre étude a montré une association entre la consommation de tabac avant et pendant la grossesse et le transfert du nouveau-né dans un service de néonatologie. Il serait donc primordial de mettre plus de moyens en œuvre pour la lutte contre le tabagisme chez les femmes enceintes et ce d’autant plus dans les zones éloignées des maternités où les patientes étaient aussi plus souvent fumeuses. Ce phénomène n’était pas décrit dans les précédentes études. On pourrait par exemple proposer la mise en place de consultations de tabacologie délocalisées.
Conclusion
Notre étude montre qu’il existe plus de risques pour les patientes domiciliées à 30 minutes ou plus de la maternité notamment de prématurité. D’autres études seraient cependant nécessaires pour évaluer l’association entre l’éloignement géographique et l’impact qu’il peut avoir sur l’issue de la grossesse afin de déterminer si nos résultats se vérifient à plus grande échelle. Nous pouvons ainsi nous poser la question de l’adéquation de l’offre de soin dans les zones éloignées des maternités.
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