Publié le 24 jan 2023Lecture 9 min
L’hôpital au risque de l’épidémie de bronchiolite
Catherine LAMBERT, Paris
Dès la mi-octobre, un pic épidémique de bronchiolite a commencé à frapper l’Ile-de-France et les Hauts-de-France. Dans un contexte hospitalier déjà fragilisé par la pénurie de personnel, les équipes de pédiatrie ont dû trouver des solutions et des ressources en interne. Alors que l’activité reste à un niveau élevé, Romain Basmaci (hôpital Louis-Mourier, AP-HP, Colombes) dresse le premier bilan d’une crise annoncée.
À ce jour, le 12 décembre, quel point pouvez-vous faire sur l’épidémie de bronchiolite ? Pensez-vous que le pic épidémique ait été atteint ?
Romain Basmaci > La diffusion de l’épidémie a été hétérogène sur le territoire. L’Ile-de-France et les Hauts-de-France ont été les premiers départements touchés avec un très gros pic fin octobre début novembre. Nous avons observé ensuite une phase descendante liée aux vacances de la Toussaint, mais avec une activité encore supérieure à celle des années précédentes pour la même période. Fin novembre-début décembre, nous avons eu un nouvel accroissement de l’incidence, moins marqué que pour le premier pic, mais avec une activité qui reste très soutenue. Les autres régions ont connu la même situation mais avec 3 semaines de décalage par rapport à nous et leur niveau de passages aux urgences est actuellement très élevé.
Avec les fêtes de fin d’année, les vacances scolaires pourraient-elles participer à diminuer l’intensité de cette épidémie ?
Romain Basmaci > C’est ce que l’on constate toujours avec les vacances scolaires, mais on ne peut pas s’attendre à une amélioration de la situation avant le milieu ou la fin de la deuxième semaine des vacances, comme cela a été le cas à la Toussaint. On peut également envisager une réascension avec la rentrée.
Il faudrait donc s’attendre à un troisième rebond ?
Romain Basmaci > Habituellement, l’épidémie de bronchiolite se déploie en un ou deux pics et s’arrête en décembre ou janvier, en restant sur une forte activité, toutefois décroissante. Depuis deux ans, nous constatons une diminution en janvier mais un regain d’activité en mars, lié en 2021 à la bronchiolite et en 2022 à diverses pathologies. Il est habituel que les épidémies de bronchiolite, de grippe et de gastro-entérite se suivent, l’activité sera donc encore très soutenue en janvier-février.
Le dernier bulletin de Santé publique France pour la semaine 47 parle d’incidence très élevée chez les enfants de moins de 2 ans, supérieure à celle enregistrée ces 10 dernières années. Avez-vous également cette impression au regard de votre situation à l’hôpital Louis-Mourier (Colombes) ?
Romain Basmaci > Auparavant, on parlait de bronchiolite en-dessous de 2 ans, aujourd’hui on considère qu’elle survient chez l’enfant de moins d’un an. C’est la définition même de la bronchiolite. Il est vrai que nous avons eu beaucoup de cas dans des proportions plus hautes que d’habitude. Il est vrai aussi que nous avons eu du mal à trouver de la place pour hospitaliser les enfants qui devaient l’être, parce que les services sont en tension et que beaucoup de lits sont fermés. Il est vrai également que nous avons transféré de nombreux patients en réanimation, mais on ne peut pas considérer que cette très forte activité était complètement inattendue, comme a pu l’être la première vague de Covid-19.
Voyez-vous des raisons particulières à la précocité et l’intensité de l’épidémie de bronchiolite actuelle ?
Romain Basmaci > Depuis deux ans, la bronchiolite arrive en octobre, et c’était déjà le cas en 2017. On ne peut donc pas à proprement parler de précocité pour l’épisode que nous venons de vivre au regard des années précédentes, et on peut penser que la saisonnalité de la bronchiolite s’est modifiée. En revanche, le pic de cette année est plus élevé que celui des années précédentes.
Cette épidémie était donc prévisible ?
Romain Basmaci > Cela fait 30 ans que les épidémies de bronchiolite surviennent en hiver et, comme je l’ai précisé, ce n’est pas la première fois qu’elle débute en octobre. Cette épidémie était donc prévisible, même si son ampleur est plus importante cette année. Est-ce que l’on considérera encore l’année prochaine que cette chronologie était exceptionnelle ?(2).
Outre les services de pédiatrie, cette épidémie a-t-elle désorganisé l’ensemble de l’hôpital ?
Romain Basmaci > La situation a été différente selon les services et chacun a fait comme il a pu pour trouver des solutions. Le problème est que nous ne trouvons plus d’infirmières et que nous avons beaucoup de difficultés à ouvrir des lits de réanimation pour absorber la vague épidémique. Le plan EPIVER existe depuis longtemps à l’AP-HP, il prévoit l’ouverture de lits de réanimation et de pédiatrie en hiver pour faire face à ces situations de crise. Comme les alternatives de CDD ou d’intérim infirmiers pour quelques mois sont de plus en plus difficiles à trouver, nous devons chercher des solutions en interne : fermeture de lits dans d’autres services – adultes ou de pédiatrie –, déprogrammation d’hospitalisation de jour, d’interventions chirurgicales, fermetures de lits d’hospitalisation de spécialités pédiatriques : tout cela participe à désorganiser l’hôpital avec un impact plus ou moins important selon les établissements.
Quel est le pourcentage d’enfants que vous avez été contraints de transférer dans d’autres hôpitaux ?
Romain Basmaci > Nous n’avons pas encore les chiffres pour répondre précisément à cette question, mais il a en effet été difficile d’hospitaliser dans nos services, et c’est pareil tous les hivers. Cette année, les places étaient beaucoup plus rares et nous avons dû transférer en pédiatrie générale à l’autre bout de l’Ile-de-France. Lorsque le transfert était impossible, les enfants ont souvent été hospitalisés dans des box aux urgences et dans les couloirs, avec des conditions de surveillance dégradées. Certains d’entre eux sont restés dans nos lits pendant plusieurs jours. En Ile-de-France, les services de réanimation ont été saturés et nous avons dû transférer des enfants hors région, parfois à plusieurs centaines de kilomètres. Nous avons déjà effectué deux fois plus de transferts cette année qu’en 2019 (environ 50 versus 25 en 2019). En attendant qu’une place se libère, ces enfants sont restés dans de services adultes ont été déplacés pour venir travailler en soins intensifs pédiatriques, mais la pédiatrie est de plus en plus spécialisée, les gestes de plus en plus lourds et techniques. C’est pourquoi, on ne s’improvise pas infirmière de soins continus ou en réanimation pédiatrique le 1er octobre pour une épidémie de bronchiolite qui commence le 15 ou le 30 du même mois.
Avez-vous été obligés de déprogrammer certaines interventions ?
Romain Basmaci > Oui, nous avons dû déprogrammer des interventions et certaines salles de réveil ont été transformées en salle de réanimation. Il y a eu beaucoup de déprogrammation médicale pour des enfants atteints de maladies chroniques, chez lesquels il fallait adapter un traitement ou réaliser un examen qui nécessite une hospitalisation.
Le plan Orsan déclenché par les autorités le 9 novembre a-t-il amélioré la situation ?
Romain Basmaci > Le personnel n’était pas en vacances à ce moment-là et je ne peux pas juger de l’effet de ce plan, qui a certainement facilité les choses sur le plan administratif et qui a surtout eu le mérite de reconnaître l’état d’urgence dans lequel était l’hôpital à ce moment-là. Mais ce n’est pas un tel plan qui permet de trouver des infirmières…
Pratiquez-vous systématiquement des prélèvements pour isoler le pathogène en cause, en particulier le VRS ?
Romain Basmaci > En pratique, cela ne sert à rien de faire un prélèvement pour porter le diagnostic de bronchiolite ou pour prendre en charge ces enfants. Tout a cependant changé depuis le Covid car on prélève systématiquement les enfants quelle que soit la raison de leur hospitalisation et on peut, sur le même échantillon, rechercher d’autres virus. Mais cela a un impact sur la surveillance épidémiologique, pas sur la prise en charge ou le traitement. Nous avons toutefois constaté qu’au début de l’épidémie différents virus circulaient, puis que progressivement le VRS s’est imposé pour devenir quasi-exclusif. Actuellement, d’autres virus sont revenus, qui peuvent aussi donner des tableaux de bronchiolite.
Les co-infections (grippe ou Covid) aggrave-t-elle la situation ?
Romain Basmaci > Différentes théories circulent sur le point de savoir si les co-infections sont plus graves ou pas. Les tests sont tellement sensibles qu’un virus peut être détecté sans qu’il soit responsable des symptômes que présente l’enfant. Un test peut en effet être encore positif jusqu’à quelques semaines après une infection. Lorsque plusieurs virus sont identifiés, il est donc difficile de savoir s’ils sont tous pathogènes et s’il s’agit réellement d’une co-infection.
Pensez-vous que le coût financier de cette épidémie sera encore supérieur aux précédentes ?
Romain Basmaci > Cette question ne ressort pas de mon domaine de compétences, ma préoccupation est de soigner les enfants et si cela doit coûter plus cher, tant pis, même si nous veillons à avoir une dépense raisonnée des soins de santé. On peut penser en effet que le coût sera élevé au regard du nombre d’enfants en soins intensifs et dans la mesure où il est plus onéreux de transférer en Samu à 100 km de Paris que vers un hôpital plus proche. Comment sera décomptée la surveillance de ces enfants nécessitant une réanimation qui ont été maintenus pendant des heures dans des box aux urgences ? Et le coût que représente l’envoi de parents à des centaines de kilomètres de chez eux alors qu’ils venaient consulter aux urgences de leur secteur ? Je ne sais pas, nous verrons les bilans qui seront publiés.
Déjà en 2019 on avait constaté une importante perturbation des services pédiatriques du fait de la bronchiolite, qui avait conduit à des transferts éloignés. Il semble donc que nous ayons à faire à un problème chronique malgré l’existence d’un plan censé amortir la catastrophe prévisible. Quelle solution pour ne plus vivre de telles situations ?
Romain Basmaci > Au-delà du recrutement d’infirmières, la première chose à faire est de prévenir ces maladies contagieuses hautement transmissibles et qui touchent les plus petits. Dans la mesure où il n’y a pas de traitement spécifique de la bronchiolite, qu’aucun médicament ne marche, que ce soient les anti biotiques, les bronchodilatateurs, etc., il faut insister sur la prévention. On sait que plus les enfants sont jeunes, plus la maladie est grave et le risque d’hospitalisation élevé. Il faut donc protéger les bébés de moins de 2 à 3 mois avec une série de mesures simples : lavage des mains, ne pas embrasser un nourrisson lorsqu’on est enrhumé, ne pas l’emmener dans la cohue des grands magasins, dans les transports en commun, les fêtes de famille où tout le monde veut le prendre dans ses bras. En diminuant ainsi les bronchiolites chez les plus jeunes, on réduira la pression sur l’hôpital et la réanimation. Lorsque l’enfant est infecté, il faut l’aider à respirer par des lavages de nez répétés et à s’alimenter par un fractionnement des repas et des tétées. On connait toutefois l’état du système de santé, à la fois libéral et hospitalier. Des solutions se mettront en place à travers une refonte globale de la pédiatrie hospitalière et des consultations ambulatoires, en trouvant des possibilités pérennes d’ouvrir des lits dès les premiers frémissements de l’épidémie.
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