Publié le 15 mar 2024Lecture 6 min
Le trouble du stress post-traumatique lié à l’accouchement - Mise en lumière d’un trouble encore méconnu et d’une nouvelle perspective de soin
Déborah FORT(a), Antje HORSCH(a,b) a. Institut universitaire de formation et de recherche en soins, Faculté de biologie et de médecine, Université de Lausanne b. Département femme-mère-enfant, Centre hospitalier universitaire vaudois, Lausanne
Le trouble du stress post-traumatique (TSPT), survenant à la suite d’événements, tels que des conflits armés, des catastrophes naturelles ou des accidents de la route, est familier du grand public. Pourtant, il est peu connu que de nombreux parents développent des symptômes de TSPT lié à l’accouchement (TSPT-A). Un accouchement mal vécu peut ainsi engendrer une grande détresse psychique. Une nouvelle stratégie de soin, basée sur des travaux en neurosciences, pourrait être une solution innovante pour soutenir ces familles.
Un diagnostic de TSPT peut être établi si une menace a été perçue pour sa propre vie ou celle de quelqu’un d’autre(1). Lors d’un accouchement, des complications peuvent à la fois atteindre la mère et l’enfant et être source de stress pour la mère et le coparent présent*. Pour poser le diagnostic de TSPT-A, il faut également que chaque catégorie de symptômes le caractérisant (figure 1) perdure au-delà d’un mois post-partum.
Figure 1. Critères diagnostiques du trouble du stress posttraumatique lié à l’accouchement. Adapté selon le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5)(1).
Environ 5 % de mères souffrent de TSPT-A et plus de 12 % développent certains symptômes, sans correspondre au diagnostic, ce qui provoque toutefois une détresse importante(2). Les pères peuvent également être touchés par ce trouble, bien qu’ils semblent moins nombreux (1,2 %)**. En plus d’impacter la santé mentale des parents, les symptômes du TSPT-A perturbent l’ensemble de la famille, comme la relation de couple, la relation parent-enfant et le développement de l’enfant.
De nombreuses personnes souffrant de TSPT revivent involontairement et répétitivement certains éléments sensoriels du traumatisme – revoir la salle d’accouchement, les forceps, le visage des soignants ou le déroulé de la césarienne –, ce qui provoque de la détresse(3). Ce phénomène est un symptôme central du TSPT, nommé « souvenir intrusif », ayant un rôle clé dans l’identification de ce trouble. Les souvenirs intrusifs peuvent également déclencher d’autres symptômes comme une humeur négative ou des difficultés de concentration. Pour ces raisons, certains traitements ciblent spécifiquement les souvenirs intrusifs.
Traitements actuels
Les traitements les plus recommandés face au TSPT sont les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et l’EMDR. Les effets bénéfiques de ces traitements pour les femmes souffrant de TSPT-A sont soutenus par quelques études(4). Toutefois, leur validation dans des études rigoureuses est une prochaine étape essentielle afin de proposer des traitements reposant sur les preuves correspondant aux besoins spécifiques de cette population. Par ailleurs, de nombreux individus souffrant de TSPT abandonnent ces traitements ou ne rapportent pas d’évolution positive après leur complétion ; cela concerne 27 %(5) et 40 %(6) de personnes ayant débuté une TCC. Se confronter de manière répétée et prolongée à l’événement traumatique pourrait être trop douloureux pour certains patients, qui arrêteraient alors le traitement. De plus, le coût important de ces traitements pourrait en bloquer l’accès à de nombreuses familles.
Nouvelle perspective de soin
Néanmoins, une nouvelle perspective de soin basée sur des travaux en neuroscience pourrait être une solution plus accessible pour aider ces familles. En effet, une intervention de 1 séance pourrait agir sur la façon dont le souvenir de l’événement traumatique a été encodé en mémoire, et ainsi diminuer les symptômes de TSPT(7). Lors d’un événement traumatique, le stress provoqué modifierait certains processus mnésiques, entraînant alors une trace profonde des éléments sensoriels, notamment visuels, en mémoire. Ce mécanisme serait à l’origine de symptômes du TSPT, tels que les souvenirs intrusifs. Afin de lutter contre leur apparition, une tâche visuospatiale pourrait entrer en compétition avec les ressources sollicitées par les processus mnésiques impliqués dans la survenue du TSPT(8). La tâche visuospatiale la plus testée à ce jour est le jeu vidéo Tetris.
Prévenir l’apparition du TSPT-A
Ce type d’intervention peut être proposé de façon préventive, dans les heures suivant un événement traumatique, avant que le souvenir ne soit consolidé dans la mémoire à long terme(8). Notre groupe de recherche a testé cette hypothèse auprès de 146 femmes à risque de développer un TSPT-A après une césarienne en urgence(9). Dans un essai randomisé contrôlé, les participantes du groupe Intervention ont joué à Tetris pendant 15 minutes durant les 6 heures suivant la césarienne. À 6 mois post-partum, le groupe Intervention rapportait significativement moins de symptômes de TSPT-A que le groupe contrôle.
Traiter les symptômes de TSTP-A
Cependant, il n’est pas toujours possible d’agir durant les heures suivant un accouchement, notamment lors d’urgences médicales. Par ailleurs, certains parents qui ne semblaient pas à risque de développer un TSPT-A, peuvent présenter ces symptômes plus tardivement en post-partum***. Toutefois, en réactivant le souvenir de l’accouchement – en le racontant brièvement –, des processus mnésiques similaires seraient enclenchés afin de stabiliser ou de modifier la trace mnésique de l’événement dans la mémoire à long terme(10). Il serait alors à nouveau possible d’utiliser une tâche visuospatiale pour interférer avec ces processus mnésiques et contrer les symptômes de TSPT-A (figure 2).
Figure 2. Fenêtres d’opportunité pour interférer avec la trace mnésique d’un accouchement traumatique.
Adapté selon Visser et coll., 2018(8).
Nous avons donc testé ce nouveau traitement auprès de 18 femmes ayant des souvenirs intrusifs fréquents de leur accouchement(11). Les participantes ont brièvement raconté leur accouchement dans la maternité où elles ont accou ché, puis joué à Tetris pendant 20 minutes dans un autre bâtiment. Après l’intervention, les participantes ont rapporté une réduction médiane de 82 % du nombre de souvenirs intrusifs et une diminution moyenne de 57 % de symptômes de TSPT-A.
Notre groupe de recherche teste actuellement les effets de cette intervention de façon plus approfondie(7) avant d’espérer l’intégrer dans les prestations offertes aux familles. Ce type d’intervention aurait l’avantage de pouvoir être réalisé en une seule séance, et de ne pas nécessiter une confrontation répétée au traumatisme.
EN PRATIQUE
• Il est primordial de reconnaître que l’accouchement peut être traumatique et de former les équipes médico-soignantes à identifier les parents à risque de développer ou présentant des symptômes de TSPT-A. Étant au contact direct des familles, les gynécologues et obstétriciens ont un rôle clé pour les orienter vers des ressources psychologiques. Toutefois, il n’existe actuellement pas de guideline sur les standards à suivre pour identifier et orienter les parents ayant vécu un accouchement traumatique. À ce jour, la perception subjective des parents de l’accouchement semble être le principal prédicteur de la survenue du TSPT-A(12). Il est donc nécessaire de permettre aux parents d’exprimer leur ressenti sur l’accouchement pour identifier leurs besoins. Le développement d’interventions fondées sur les preuves et accessibles au plus grand nombre de familles est également essentiel pour offrir une prise en charge adaptée.
* Cet article a pour objectif de se focaliser sur les parents souffrant de TSPT-A. Toutefois, il faut préciser que ce trouble peut également toucher le personnel soignant assistant à l’accouchement.
** Ce chiffre ne repose actuellement que sur 3 études. Il est donc à considérer avec prudence.
*** Il est important de noter que le vécu subjectif de l’accouchement semble être le prédicteur le plus important de la survenue d’un TSPT-A, et que les facteurs objectifs tels que des complications ne sont pas suffisants pour prédire l’impact psychologique de l’accouchement(12).
Publié dans Gynécologie Pratique
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