Publié le 10 avr 2025Lecture 8 min
Hémorragie du post-partum : chiffres de la mortalité maternelle, diagnostic et traitements de la coagulopathie
Laura Bourgault, d’après la communication du Dr Thibaut Rackelboom, médecin anesthésiste-réanimateur à Fort-de-France – Dr Julie Blanc, gynécologue-obstétricienne à Marseille

Dans quelle mesure les hémorragies maternelles sont-elles une cause majeure de décès maternels ? Quelle surveillance et quel suivi sont aujourd’hui indiqués pour un diagnostic et une prise en charge la plus précoce et la plus efficiente possible ?
« L’hémorragie du post-partum est un problème de pratique quotidienne qui met en péril la vie et la survie de nos parturientes. Il faut continuer à travailler, évaluer et implémenter les données dans nos pratiques pour les rendre les plus qualitatives possible, et éviter la problématique de la mortalité maternelle inhérente à cette hémorragie du post-partum immédiat », introduit le Pr Olivier Picone en préambule (Colombes).
Mortalité maternelle : mieux comprendre pour mieux prévenir
Dr Julie Blanc, gynécologue-obstétricienne à Marseille
« L’étude de la mortalité maternelle permet de relever des indicateurs sur l’organisation des soins et sur la santé maternelle. L’objectif étant de comprendre les causes de décès maternels, d’améliorer la qualité et l’accès aux soins, et de réduire les inégalités en termes de santé mentale », contextualise Dr Julie Blanc, qui s’apprête à rappeler les principaux points de l’enquête publiée en avril 2024 par le comité national d’experts sur la mort maternelle (ENCMM 2016-2018).
Mais quelles ressources permettent de faire remonter ces décès survenant pendant la grossesse jusque dans l’année suivant la naissance ?, s'interroge-t-on. « En cas de décès, le comité de mort maternelle ou les certificats de décès peuvent être collectés, avant que les assesseurs viennent consulter les dossiers médicaux pour permettre l’analyse pluridisciplinaire. »
Et que nous révèlent les chiffres ? En France, près de 100 femmes meurent chaque année de complications liées à la grossesse. Sur la période étudiée de 2016 à 2018, un total de 272 cas de morts maternelles ont été répertoriés, sur la période allant de la grossesse jusqu'à un an en post-partum. Les causes principales sont le suicide (17%), les maladies cardiovasculaires (15%), les embolies amniotiques (8%), les AVC (7%), les thrombo-embolies veineuses (7%), les hémorragies obstétricales (7%). En proportion, les décès maternels par hémorragie obstétricale ont diminué sur la période 2016-2018. Une baisse continue rapportée depuis 18 années.
Et si l'on se concentre exclusivement sur les décès survenant pendant l'accouchement et dans les 7 premiers jours suivant la naissance ? La survenue de 26% des décès maternels sont répertoriés durant cette courte période. Quelles en sont les causes ? Une embolie amniotique dans 29 % des cas, une hémorragie obstétricale dans 19% des cas, une maladie cardiovasculaire dans 12% des cas, un AVC dans 9% des cas (autres causes : 31%).
« Les décès par hémorragie, eux, surviennent le plus souvent survenant en post-partum immédiat : 7% - 20 femmes sur les données 2016-2018. Sur ces cas de mort maternelle par hémorragie, très peu relèvent de décès par atonie, et 65% de cette mortalité relève d’hémorragie obstétricale secondaire par césarienne ou plaie chirurgicale et de rupture utérine, poursuit Julie Blanc. C’est donc autour de ces prises en charge que la prévention va pouvoir se concentrer ». Quels contextes doivent alors mettre les équipes sur la piste d’un hémopéritoine ou d’un hématome profond ? « Un malaise, une tachycardie ou tout autre trouble hémodynamique sans hémorragie extériorisée en post-opératoire immédiat après une césarienne », répond Julie Blanc.
Et comment analyser l’inévitabilité dans le cadre d ‘un décès maternel par hémorragie ? En moyenne, 60% des décès maternels sont considérés comme évitables. Dans le détail, 94,7% des cas de décès par hémorragie analysés par le comité d’experts sont précisément classés comme évitables. Une évitabilité portée à 78,8% pour les suicides et causes psychiatriques, 69,3% pour les infections à porte d’entrée vaginale, 66,7% pour les complications hypertensives, 55,9% pour les maladies cardiovasculaires, 47,1% pour les thrombo-embolies veineuses, 35% pour les embolies amniotiques et 23,5% pour les AVC.
Formation, simulation, organisation des soins, staffer les équipes obstétricales
Quels axes d’amélioration mettre en place pour réduire la mortalité maternelle par hémorragie ?
La formation à la mise en place d’une échographie de débrouillage (POCUS) : une échographie cardiaque pour le diagnostic de l’insuffisance cardiaque en cas de dyspnée / défaillance hémodynamique, et une échographie abdominale pour rechercher un épanchement intrapéritonéale en cas de signe d’hypovolémie en post-césarienne. Cette échographie est par ailleurs doublée d’une mesure de l’hémoglobine délocalisée. Ces actes doivent être répétés pour étayer le diagnostic
La simulation en équipe pour les situations d’urgence vitale
Intégrer dans son approche le fait que certaines patientes peuvent nécessiter une surveillance continue en cours de grossesse ou en post-partum, un point parfois non réalisable dans tous les services, qui incite chaque maternité à organiser avec ses propres ressources la prise en charge de la patiente en soins critiques
Penser au diagnostic de rupture utérine en cas d’utérus cicatriciel et d'état de choc à domicile
Identifier le lieu d’accouchement des femmes à haut risque hémorragique par le plateau technique et les ressources humaines, au regard de la proportion des ruptures utérines en per-hospitalier
Tracer les informations sur la prise en charge pluridisciplinaire pour une possible réalisation en urgence
Intégrer le fait que tout accouchement peut nécessiter une prise en charge chirurgicale complexe. L’accès à ces compétences y compris dans l’urgence doit être organisé au mieux dans chaque maternité, à partir d’une réflexion anticipée et posée (transfert, compétence, astreinte…)
Staffer l’équipe avec du personnel formé à la surveillance post-opératoire d’une césarienne, pour un suivi régulier et tracé sur une durée de 2h
Coagulopathies : continuum ou différents stades ?
Dr Thibaut Rackelboom, médecin anesthésiste-réanimateur à Fort-de-France
De quels moyens diagnostics les plus récents disposons-nous concernant la coagulopathie ? De quelle façon peuvent-ils guider a prise en charge et dans quelle mesure ces troubles de la coagulations peuvent-ils être prévenus ? Autant de questions auxquelles répond par la suite le Dr Thibaut Rackelboom.
A noter dans un premier temps que les troubles de la coagulation ne sont pas systématiquement associés à une hémorragie. Ils peuvent aussi survenir dans un contexte d’embolie amniotique, aux troubles de la coagulation en lien avec une prééclampsie ou un sepsis.
« Concernant la coagulopathie obstétricale aiguë, on va avoir initialement une coagulopathie de dilution et des pertes directes de facteurs de coagulation. Dans certains cas spécifiques, on aura une coagulopathie de consommation au niveau placentaire en rapport avec l’atonie ou les débris placentaires. Ce peut être l’évolution des phases précédentes ou d’emblée en cas d’embolie amniotique, de choc septique ou d’hématome rétroplacentaire : on aura fibrinolyse intense ou une coagulopathie disséminée.»
Plusieurs études ont déjà mis en avant une valeur prédictive positive d’un taux de fibrinogène inférieur à 2 mg par litre, avec une valeur prédictive à 100% associée à une hémorragie sévère, et ce selon une étude prospective menée sur 18 500 accouchements dont 456 hémorragies supérieures à 1 500 ml, avec une corrélation du fibrinogène pour indiquer le volume de perte sanguine comparée à d’autres tests d’hémostase.
Le taux de fibrinogène est donc le marqueur le plus précoce d’une coagulopathie débutante.
Reste que le principal problème qui se pose est le suivant : comment diagnostiquer cette coagulopathie ? « Sachant que les examens laboratoires peuvent être longs, 3 à 60 minutes dans le meilleur des cas si l’acheminement est rapide. Quid du test délocalisée de l’hémostase, appelé test viscoélastique ? Ce dernier permet un diagnostic plus rapide, et un suivi de l’efficacité du traitement. Il repose sur différents appareils permettant de mesurer le temps de coagulation en 7 minutes. La mesure de la fermeté du caillot par ces tests apporte des éléments diagnostics précoces et utiles. A noter que les atteintes vont différer en fonction de la cause de la coagulopathie. Par ailleurs, il n’existe pas de rapport de proportionnalité entre le volume des pertes sanguines et le degré de fibrinolyse.»
Comment traite-on ensuite la fibrinolyse ?
« L’acide tranexamique est indiquée en curatif, sous 1 g en 10 minutes dès le diagnostic de l’hémorragie du post-partum posé, renouvelable éventuellement une fois au bout de 30 minutes, prolonge le Dr Rackelboom. Un protocole diminuant de façon significative la mortalité maternelle liée aux saignements dans les 3h. Ce qui ne veut pas dire que cela va être suffisant pour traiter la coagulopathie notamment lorsqu’elle est intense. » Pour cela, nous avons :
les concentrés de fibrinogène présentant l’avantage de se reconstituer en 2 minutes, et de présenter un volume d’administration faible. Ce risque de complications thrombo-emboliques est encore non mesuré mais existant
le plasma frais congelé, avec un temps de congélation incompressible d’une vingtaine de minutes, associé à un important volume d’administration augmentant le risque de complications
le plasma lyophilisé disponible depuis peu dans certains centres
« Toujours sur le sujet du traitement, une étude française a évalué l’effet à l’aveugle de 3g de fibrinogène dès le diagnostic posé. Il a été démontré que ce dosage ne réduisait pas les pertes sanguines, donc pas le risque de transfusion et de morbidité, probablement car il s’agissait d’hémorragies peu sévères, étaye le Dr Rackelboom. Une absence d’efficacité qui a ensuite été prouvée par d’autres travaux. »
« Une autre étude publiée en 2024 a elle permis de comparer une administration empirique de produits sanguins dans un premier temps de l’étude, puis par les tests viscoélastiques dans un second temps. Une réduction de l’évolution de l’hémorragie du post-partum sévère et du risque de transfusion majeure (supérieur à culots globulaires) ont pu être observés ».
Enfin, « une AMM a été délivrée en 2022 sur le facteur VII activé, beaucoup utilisé il y a 15 ans puis un peu laissé de côté du fait d’un risque de complications thrombo-emboliques majeures. Aujourd’hui sa place n’est pas encore définie notamment pour des raisons de risque, de coût et de lien d’intérêt ».
En conclusion :
L’hypofibrinogénémie est un marqueur précoce de coagulopathie, prédictif d’HPP sévère, de besoins transfusionnels, de morbi mortalité
Les paramètres d’hémostase délocalisée sont de bonne performance, avec un diagnostic précoce de la coagulopathie, une correction de la coagulopathie rapide et ciblée, une répétition des tests en cas d’HPP active, une administration raisonnée des produits pro-coagulants
Le diagnostic des coagulopathies obstétricales graves se veut précoce (HRP, EA, sepsis sévères…)
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