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Profession

Publié le 03 avr 2018Lecture 13 min

Le rôle des sages-femmes auprès d’une femme victime de violences : quelques pistes pour la pratique clinique

Mathilde DELESPINE, sage-femme

La violence à l’encontre des femmes est un problème majeur de santé publique et une violation grave des droits humains. L’ampleur et la gravité de ces violences ne nous laissent pas d’autre choix que de s’engager aux côtés des femmes victimes. Nous, sages-femmes, sommes au cœur de processus pouvant tout autant aggraver cette violence et ses conséquences, que la freiner et prévenir sa répétition. Pour cela, la compréhension des mécanismes en jeu est primordiale. Un positionnement juste est à trouver afin d’aider les femmes à retrouver leurs capacités. La connaissance du réseau de partenaires est également indispensable, afin que ces femmes puissent être accompagnées de façon adaptée par des équipes pluridisciplinaires au sein desquelles les sages-femmes ont un rôle déterminant.

Connaître les violences faites aux femmes Définition En 1993, dans sa déclaration sur l'élimination de la violence contre les femmes, l’ONU propose une définition devenue aujourd’hui une référence : « Tout acte de violence dirigé contre le sexe féminin, et causant ou pouvant causer aux femmes un préjudice ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, y compris la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée »(1). Epidémiologie Concernant les violences au sein du couple, l’enquête française ENVEFF a révélé qu’en 2000, une femme sur dix avait subi des violences conjugales au cours de l’année précédant l’enquête(2). Chaque année en France, au moins 216 000 femmes âgées de 18 à 75 ans sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur partenaire intime ancien ou actuel. Enfin, tous les deux jours et demi, une femme meurt sous la violence de son conjoint. En 2013 ce sont 129 femmes, 30 hommes et 33 enfants qui sont décédés dans le cadre de violences conjugales(3). Pour ce qui est des viols ou tentatives de viol, 86 000 femmes âgées de 18 à 75 ans en sont victimes chaque année dans notre pays. Dans plus de 8 cas sur 10, ces agressions sont perpétrées par une personne connue de la victime. Dans environ 38% des cas, par le conjoint(3). Pour l’ensemble des agressions sexuelles (attouchements, tentatives de rapports forcés ou viols), 20,4 % des femmes et 6,8 % des hommes âgés de 18 à 69 ans en auraient été victime au cours de leur vie(4). Les mutilations sexuelles féminines touchent environ 53 000 femmes adultes. Neuf victimes sur dix ont été excisées avant l’âge de 10 ans(5). L’ENVEFF révélait également que 20 % des femmes sont victimes de violences dans leur milieu professionnel et 15 % dans l’espace public(2). Conséquences en termes de morbidité materno-fœtale Les violences envers les femmes entraînent à court et long terme de graves problèmes de santé physique, mentale, sexuelle et génésique pour les victimes et leurs enfants. Elles ont de ce fait des coûts sociaux et économiques élevés(6). La grossesse est un catalyseur des violences et de ses conséquences, que ce soit au sein du couple, du milieu professionnel ou par la réactivation de traumatismes antérieurs(7). La violence à l’encontre des femmes peut avoir une issue mortelle, qu’il s’agisse d’homicides ou de suicides. Elle entraîne des traumatismes et des blessures dans 42% des cas de violences physiques au sein du couple(6). Une enquête de 2013 de l’OMS révèle qu’une femme victime de violences conjugales a recours deux fois plus souvent à une IVG et présente un risque deux fois plus grand de souffrir de dépression ou d’alcoolisme et une fois et demie plus grand d’infections sexuellement transmissibles qu’une femme non victime. Les enfants grandissant dans un tel contexte sont en danger. En effet ils sont autant impactés dans leur développement psycho-moteur que les enfants subissant des violences directes(6). Une enquête de 2006, montre que la violence au sein du couple accroît significativement le risque de pathologies obstétricales comme les menaces d’accouchements prématurés, les naissances prématurées et la rupture prématurée des membranes qui sont augmentées de 60 %. Elle retrouve aussi une élévation du risque de diabète et d’hypertension artérielle (+ 40 %), de métrorragies (+ 90 %), d’infections urinaires, de vomissements incoercibles et de fausses couches (+ 60 %)(8). Enfin, en 2012, une enquête plus locale, étudiant rétrospectivement les issues de grossesse chez des femmes victimes de violences conjugales, retrouve un taux d’accouchements prématurés de 23 % (contre 7 % sur le département étudié), de fausses couches de 18 % (contre 2 %) et 7 % d’accouchements à domicile contre 2 ‰. Toutes les femmes participant à l’enquête se souviennent avoir subi des coups pendant leur grossesse, 82 % d’entre elles des violences sexuelles et 28 % des coups sur le ventre(9). Repérer les femmes victimes La grossesse est reconnue comme un moment privilégié pour dépister les violences passées ou actuelles, subies par une femme. En effet la fréquence des consultations prénatales et le lien de confiance qui s’établit, entre la sage-femme et la patiente rendent ce moment propice à la révélation d’une situation que jusque là la femme n’a pu évoquer(10). Si le dépistage est plus aisé lorsque l’on constate des lésions physiques évidentes, il l’est beaucoup moins devant des séquelles inhomogènes, une décompensation de pathologies chroniques, des troubles psychosomatiques ou des complications obstétricales. Le dépistage est particulièrement difficile lorsque les troubles sont principalement psychiques ou que la femme n’expose aucun symptôme. C’est pour ces raisons qu’il convient de poser quelques questions simples et explicites, à toutes nos patientes, une fois que l’on sent une confiance installée et lors d’un entretien avec la femme seule(10). Les consultations prénatales ne sont pas le seul moment où il est possible d’évoquer les traumatismes subis. La préparation à la naissance et à la parentalité et notamment l’entretien prénatal précoce sont également propice à l’évocation de tels événements de vie. Les objectifs de ce dernier sont notamment la prévention et l’orientation, réalisées grâce à une approche de « santé globale » de la femme et un « repérage systématique des facteurs de vulnérabilité ». Dans ses recommandations la Haute Autorité de Santé (HAS) préconise particulièrement de persuader avec diplomatie les femmes à parler des violences conjugales tout en respectant leur rythme personnel pour faire évoluer leur situation(11). Nous pouvons également imaginer qu’une hospitalisation au cours de la grossesse, en structure hospitalière ou au domicile, peut être un moment opportun pour ce repérage. Enfin, même si nous recommandons une anticipation maximale en abordant ce sujet au plus tôt dans la grossesse, l’hospitalisation ou les soins après la naissance peuvent, si cela n’a pas pu aboutir avant, être le moment où la femme va pouvoir évoquer cette problématique. De façon globale, tout suivi d’une femme dans le cadre obstétrical et gynécologique doit être débuté par un temps de rencontre tant sur le plan humain que médical. Selon nous, il est indispensable que ce temps contienne notamment des questions sur les éventuels traumatismes subis. Le seul fait que la sage-femme s’enquière de la possibilité que sa patiente ait pu subir des actes violents est de nature à l’aider. Elle se sent potentiellement comprise, considérée. Une simple question sur son éventuel vécu de violences peut diminuer son sentiment de honte, sa peur d’en parler. L’écoute fait bien partie du rôle propre du professionnel(12). De plus si la femme entrevoit, grâce à ces questions, qu’elle n’est pas porteuse d’une tare indélébile mais bien victime d’un traumatisme, la sage-femme lui aura permis un grand pas. Il est important de lui dire que ce n’est pas elle, la coupable. Elle doit entendre que rien ne justifie la violence. Peut-être verra-t-elle alors qu’elle peut être aidée. Dans ce but, quelques éléments conceptuels et théoriques peuvent nous aider. Distinguer le conflit de la violence Un conflit implique une interaction, un débat et est à même d’entraîner une négociation. Il peut faire évoluer les points de vue dans un rapport d’égalité. La violence est un processus de domination au cours duquel l’un des deux protagonistes installe et exerce une emprise sur l’autre. Envisager le repérage systématique comme indispensable Souvent les campagnes de prévention incitent les femmes victimes à parler de ce qu’elles subissent ou ont subi. Il serait également intéressant et productif d’encourager les professionnels dans ce sens. Aujourd’hui, parmi les femmes victimes de violences physiques ou sexuelles au sein du couple, 16 % déclarent avoir déposé une plainte. Et parmi celles victimes de viols seules 11 % le font(3). Ces chiffres nous indiquent que pour une victime, il est très difficile de dénoncer spontanément la violence subie, d’autant plus en cas de violences intrafamiliales ou sexuelles. « Le dépistage contribue à réduire la durée de tolérance à la violence, le nombre de récidives, l’aggravation des risques et les conséquences profondes sur la personnalité de la victime » (13). Le repérage systématique est un « aller vers » qui permet de libérer la parole. Il permet de briser la loi du silence qui n’est jamais un choix de la victime mais toujours un dictat que l’agresseur lui impose pour garantir son impunité. Il permet aussi de rompre la solitude dans laquelle une majorité de victimes se trouvent. Enfin il donne l’opportunité aux femmes de comprendre que parler de violence est possible au sein d’une consultation médicale et que ce n’est pas « hors sujet ». Poser une question est en soit un acte thérapeutique, une porte que l’on ouvre et dans laquelle la victime entrera lorsqu’elle se sentira prête. La forme de ces questions doit être propre à chaque professionnel. Il est nécessaire, au cours d’un entretien avec la femme seule, de poser clairement la question de l’existence de traumatismes antérieurs y compris sexuels. Nous pouvons demander aux femmes si elles ont été malmenées, violentées. Dans notre expérience nous demandons « si, au cours de leur vie, elles ont subi des événements qui leur ont fait du mal et qui continuent à leur faire du mal actuellement ». Les réponses sont variées, certaines demandent des précisions, d’autres relatent immédiatement des faits qu’elles n’ont jamais évoqués auparavant et d’autres encore attendent quelques semaines avant d’en parler. Leur douleur est présente de façon latente et grâce à ces paroles elles vont pouvoir se reconnecter à leurs émotions. Si elles pleurent, ce n’est pas à cause de nos questions mais bien du fait des violences subies. Lutter contre les obstacles La question de l’intrusion dans l’intimité est souvent citée comme obstacle. Il est important de garder en tête que l’intimité ne peut pas correspondre à des actes condamnés par le code pénal. L’atteinte à l’intégrité de la personne ne fait donc pas partie de la vie privée. Quand un professionnel de santé ne recherche pas les antécédents traumatiques c’est parce qu’il a peur de la réponse, par manque de formation et d’outil pour accompagner son patient en cas de réponse positive. Édouard Durand explique très bien qu’effectivement « identifier les violences […], implique de leur donner une réponse professionnelle particulière, différente des situations habituellement rencontrées […] Cette exigence confronte le professionnel non seulement aux limites de ses compétences mais plus encore au questionnement des structures familiales et à la peur légitimement éprouvée face à la violence qui peut conduire au déni »(14). L’aménagement du temps de consultation ou d’entretien doit être anticipé. Il est nécessaire de savoir comment s’organiser si une patiente est accompagnée par son mari ou par une autre personne, ou encore si elle vient avec ses enfants. Il ne paraît pas raisonnable d’aborder ces questions en présence de quiconque. Il y a tout d’abord un risque de mise en danger de la femme si des violences existent et qu’elles viennent du cadre familial ou amical. Dans le cadre de violences antérieures qui n’auraient jamais été racontées, la présence du conjoint à qui elle a décidé de ne pas en parler peut faire renoncer la femme à se confier au professionnel. De plus, la violence n’est pas la seule thématique pour laquelle il peut être intéressant qu’elle soit seule lors du premier temps de rencontre – nous pensons notamment au fait d’aborder les antécédents d’interruptions de grossesses. Enfin, dans le cadre des premières consultations prénatales, la prescription de certaines sérologies doit faire appel au respect du secret en faveur des patientes et celles-ci n’être effectuées que lorsque la femme se trouve seule. Lorsqu’une patiente est accompagnée par son (ses) enfant(s), il est également indispensable de trouver des astuces pour qu’il(s) n’assiste(nt) pas, ni aux discussions sur de tels sujets, ni à l’examen clinique. À nous, alors, de faire preuve d’imagination même si ces situations peuvent paraître insolubles. Prévoir le prochain rendez-vous à un horaire où les enfants pourront être confiés peut-être une bonne solution. Connaître la législation Notre code de déontologie indique à l’article R.4127-316 du code de la santé publique qu’une sage-femme a le devoir d’intervenir pour protéger les patientes ou leurs enfants victimes de sévices. Bien sûr nous avons un devoir de respect du secret établi en faveur des patientes, pour tout ce nous avons pu connaître dans le cadre de notre exercice, ainsi nous devons faire preuve de circonspection lors de l’accompagnement de ces patientes et prendre notre temps lors de la rédaction de nos écrits. La constatation de violences ou de blessures sur un mineur ou une personne vulnérable implique d’agir dans l’intérêt de la victime et de faire un signalement aux autorités administratives ou judiciaires. Ceci est une dérogation légale au secret professionnel (article 226-14 du Code pénal) et une obligation déontologique. Dans ce sens il est tout à fait possible pour une sage-femme de rédiger un certificat médical de constatation pour attester de l’existence de signes, de lésions traumatiques ou d’une souffrance psychologique. Ceci constitue un élément objectif sur lequel l’autorité judiciaire pourra s’appuyer pour décider des suites à donner en cas d’enquête par les services de police ou de gendarmerie. Cet écrit doit toujours être remis en main propre à la patiente concernée, après l’avoir vue et examinée et il doit impérativement être daté du jour de l’examen, même si les faits relatés sont antérieurs. Il ne doit pas contenir d’affirmation quant à la responsabilité d’un tiers et n’a pas pour objectif d’estimer l’Incapacité Totale de Travail (ITT) qui ne doit être déterminée que par un médecin légiste ou dans le cadre d’une réquisition judiciaire. De la même façon, une sage-femme peut rédiger un signalement concernant une victime mineure sans condition. Ceci est également possible pour une victime majeure à la condition qu’elle soit consentante ou qu’elle ne soit pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique. Lorsque que la situation nécessite une protection judiciaire sans délai, il est nécessaire de faire un signalement au Procureur de la République du Tribunal de Grande Instance du lieu de résidence habituel de la victime. Ce dernier pourra alors décider d’ouvrir une enquête même si la victime n’a pas directement porté plainte. Si le risque existe mais n’est pas imminent, nous pouvons transmettre à la cellule départementale de recueil et d'évaluation des informations préoccupantes (CRIP) toute information concernant une personne mineure en danger ou risquant de l’être. Ceci peut donc concerner l’enfant à naître dans les situations obstétricales inquiétantes. En effet, bien que la CRIP ne soit pas en mesure de prendre une décision pour un enfant qui n'est pas né, ni pour une personne majeure, elle peut informer l’ensemble des maternités du même département. L’idée est de permettre aux femmes d’être accompagnées de façon adaptée quel que soit leur lieu d’accouchement. Expérimentation du repérage systématique La pratique du questionnement systématique a été évaluée de nombreuses fois, notamment par François en 2002, Piau en 2006, Lazimi en 2007, Delespine en 2009. À chaque fois les études montrent que cette pratique est réalisable, efficace et utile. De plus elle s’avère très bien acceptée, voire plébiscitée par les patientes, qu’elles soient victimes ou pas. Récemment le réseau périnatal Naître dans l’Est Francilien s’est engagé dans une démarche de lutte contre les violences faites aux femmes. Après avoir mené des actions de formation et avoir créé un outil d’aide à l’orientation pour les professionnels, une enquête a été réalisée afin d’expérimenter le questionnement systématique. L’objectif de cette étude est double, d’une part évaluer la prévalence des violences sur le territoire (en l’occurrence le département de Seine Saint Denis) et d’autre part d’ancrer le questionnement systématique dans la pratique clinique des soignants. Au sein de six maternités du réseau, 691 femmes ont été sollicitées pour l’enquête, 28 femmes ont refusé, soit 4 % de l’échantillon, la plupart de ces patientes étant accompagnées du conjoint. Parmi les 663 patientes ayant répondu, 244 ont déclaré avoir subi au moins une fois au cours de la vie au moins un type de violence, soit 37 % et 20 % ont évoqués deux types de violences. Parmi ces femmes victimes, un tiers décrivent des violences verbales, un cinquième des violences physiques et une sur dix des violences sexuelles. Les mutilations sexuelles sont évoquées par 9 % d’entre elles, les violences économiques par 4,5 % et le mariage forcé par 1 %. Elles racontent avoir subi des violences physiques principalement dans l’enfance et au sein du couple et des violences sexuelles principalement au cours de l’enfance et de l’adolescence. Au cours de la réalisation de cette enquête, tous les médecins et sages-femmes participants ont été interpellés par la quantité de réponses positives en comparaison à leurs pratiques habituelles. Ils ont rapporté avoir eu une grande facilité à évoquer ce sujet malgré leurs appréhensions de départ et aucun ne s’est senti mal à l’aise au cours de l’étude. Après cette expérimentation ces professionnel(le)s se sentaient plus concerné(e)s par la problématique et faisaient preuve de moins de fatalisme quand une telle situation était mise à jour.

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