Publié le 20 jan 2022Lecture 8 min
Information et consentement en situation d’urgence
Sylvie NICOLAI, Paris
Zoom sur la notion de consentement libre et éclairé en situation d’urgence : comment le patient peut-il donner son aval sur la pratique d’un soin ou d’un geste dont il n’a pas forcément eu le temps d’en saisir le sens, le geste, les limites et la balance bénéfice-risque ?
Sur le terrain, à la croisée de l’éthique et de la déontologie médical, il existe un éternel parallèle entre :
Les devoirs du professionnel de santé
Le professionnel de santé se trouve dans l’obligation de porter secours : on parle d’obligation d’assistance à personne en péril.
Le droits du patient
Tout patient a droit d’être acteur de sa prise en charge, par conséquent il dispose du droit d’être informé pour pouvoir donner, en toute connaissance de cause, son consentement.
Droit au refus de soins
Le problème est qu’informer prend du temps… et que l’urgence ne souffre d’aucun délai. En médecine, l’urgence est « la situation ou symptomatologie dont le traitement ne peut être différé ». Mais l’appréciation de l’urgence est subjective, basée sur l’évaluation qu’en fait le professionnel de santé, qui va devoir faire la part entre l’urgence « vraie », réelle et l’urgence ressentie. Il s’agit de définir le degré d’urgence :
Classiquement, en médecine, il existe 4 degrés d’urgence :
1/ l’urgence potentielle qui nécessite une surveillance accrue ;
2/ l’urgence relative qui permet « encore » d’attendre ;
3/ l’extrême urgence dont l’évolution sera rapide ;
4/ l’urgence absolue quand il existe une détresse vitale.
Information et consentement : quelles connexions ?
La relation « médecin/malade » est traditionnellement inégalitaire : le médecin sachant possède la connaissance, le savoir, le patient est fragilisé par la maladie et lui doit obéissance à travers le respect de la prescription. Il faut attendre le milieu du XXème siècle et la volonté d’application d’une éthique médicale pour que la situation évolue vers un rééquilibrage de cette relation. C’est à cette époque que la notion de contrat moral soignant-soigné apparaît. Le patient n’est plus un « objet de soins » mais doit être considéré comme une personne humaine, un égal, qui a droit au respect de sa dignité et doit donc pouvoir, en toute connaissance de cause, exprimer son choix, sa volonté.
Ces principes, initialement déontologiques (deon : le devoir – logos : la parole, la science), vont être progressivement officialisés par la loi.
Que disent les textes ?
Selon l’article L 1111-2 du Code de la santé publique (CSP), « toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus... » ;
La suite de ce même article prévoit que « cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel ».
Selon l’article L 1111-4, al. 1 CSP, « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé » - Loi Kouchner du 4 mars 2002) ;
Selon l’article L 1111-4, al. 4 CSP, « aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment ».
Il apparait donc que le législateur ait prévu ces situations où le délai d’action étant trop court, l’entretien singulier d’information du patient et de recueil de son consentement ne peut se faire. Le soignant se trouve alors dispensé de cette obligation.
Dans la réalité, deux situations subsistent :
Le patient est dans l’incapacité d’exprimer sa volonté (inconscience, coma) ;
Pour répondre à ces situations, la loi du 4 mars 2002 a instauré la désignation de la personne de confiance. Cependant, la loi précise que la personne de confiance est seulement consultée par le médecin. Son avis reste un simple indice permettant à l’équipe médicale de prendre la décision finale. C'est au médecin qu’il appartient d'assurer la protection de la personne hors d'état d'exprimer sa volonté.
La nécessité de soins immédiats : nous sommes alors dans la situation d’extrême urgence voire d’urgence absolue. Dans ce cadre, si l’intervention médicale tarde, la « non-assistance à personne en danger en danger peut être retenue ».
Tout semble envisagé et cadré. Et pourtant, en pratique, un point d’achoppement demeure : le refus de soins.
Comme précédemment cité, la loi stipule qu’ « aucun acte médical ne peut être pratiqué sans le consentement de la personne, consentement qui peut être retiré à tout moment ». La charte du patient hospitalisé (circulaire du 6 mai 1995) précisait déjà que « tout patient informé par un praticien des risques encourus, peut refuser un acte diagnostique ou un traitement, l’interrompre à tout moment à ses risques et périls »
Par conséquent, si le patient est en mesure d’exprimer sa volonté, le praticien ne peut passer outre. Un dilemme parfois pour celui-ci entre ses obligations, ses devoirs : l’assistance à personne en danger, le respect des choix (ici du refus de soins) du patient, et l’obligation de recueil du consentement.
Plus concrètement, appuyons-nous sur des situations déjà vécues, ou pouvant être, rencontrées .
1/ Refus de transfusion par une parturiente témoin de Jéhovah
Les juges puis le Conseil d’Etat (ordonnance en référé du 16 août 2002) ont retenu les critères suivant pour se prononcer :
La situation extrême mettant en jeu le pronostic vital ;
L’absence d’alternative thérapeutique.
La transfusion était indispensable à la survie de la femme et l’acte proportionné à son état.
2/ Refus de césarienne pour « sauvetage » de l’enfant à naître (ARCF…)
Ici la situation est plus complexe car, en droit français, le fœtus, l’enfant non encore né, n’a aucune existence juridique. Il ne peut donc être opposé aux parents la non-assistance à mineur en péril. L’équipe médicale est alors dans une situation quasi inextricable.
Seules l’information et la discussion s’imposent pour tenter de les convaincre : les argumentations s’avèrent souvent fastidieuses et d’autant plus stressantes que « l’heure tourne » et la crainte de séquelles néonatales irréversibles s’impose : comment alors convaincre sans imposer ?
La solution se trouve sans doute dans l’anticipation de l’information : « prévenir plutôt que devoir guérir ». C’est-à-dire aborder en amont la question avec les femmes, les couples, est sans doute un moyen de mieux appréhender d’éventuels refus en en recherchant l’origine. Il s’agit de prendre le temps d’évoquer en anténatal les situations d’urgences obstétricales nécessitant une intervention, expliquer les modalités des actes préconisés. Ces échanges peuvent certainement apaiser les angoisses des parents et limiter la survenue d’un refus « au moment où… »
En 2005, le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) confirme dans la rédaction de son avis n°87 portant sur « le refus de traitement et autonomie de la personne » : « il parait, de toute façon, essentiel que ce type de situation soit toujours envisagée dans la mesure du possible largement avant la naissance plutôt qu’au dernier moment, en reconnaissant que l’attitude qu’on peut avoir dans une situation «théorique» et donc «générale» peut différer de celle que l’on aura devant la même situation devenue effective pour la personne. Ici encore, il n’y a pas de bonne solution en tout point ».
Pourtant, « l’accouchement voie basse constitue un évènement naturel et non un acte médical » . Dans le cadre d’une grossesse strictement physiologique et d’un pronostic d’accouchement eutocique, l’obligation d’information sur des risques hypothétiques s’applique-t-elle ? De nombreux débats ont vu le jour sur ce thème. Il en résulte que le Conseil d’Etat (27 juin 2016) et la Cour de Cassation (23 janvier 2019) considèrent que « la circonstance de l’accouchement par voie basse constitue un acte naturel , et non un acte médical, ne dispense pas le professionnel de santé de l’obligation de porter, le cas échéant, à la connaissance de la femme enceinte les risques qu’il est susceptible de présenter eu égard notamment à son état de santé, à celui du fœtus, ou à ses antécédents médicaux, et les moyens de les prévenir ».
De plus, en présence d’une pathologie maternelle ou de l’enfant à naître ou d’antécédents entrainant un risque connu par accouchement voie basse, l’information doit porter sur la possibilité d’avoir à procéder à une césarienne.
Pour autant, la recherche de jurisprudence sur une « césarienne imposé » s’est avérée vaine.
3/ Le refus de parents d’administration de certains traitements à leur enfant nouveau-né (ex : transfusion sanguine en cas d’anémie néonatale sévère, traitement de la maladie des membranes hyalines par Chondrosurf®, issu de poumons de porcs…)
Dans ces cas encore, il s’agit de déterminer le degré d’urgence, le risque d’engagement du pronostic vital et l’absence d’alternative thérapeutique.
Dans ces circonstances, en cas de persistance d’opposition des parents malgré une information sur les risques encourus en cas d’absence de traitement, « le médecin délivre les soins indispensables » (Art L111-4 al 6 du CSP) afin de mettre le mineur à l’abri de conséquences graves pour sa santé.
Lorsque l’état d’urgence extrême n’est pas présent mais que les traitements sont indispensables, le praticien responsable peut saisir le Procureur de la République (joindre le parquet de permanence) afin de provoquer une procédure d’assistance éducative du parquet levant temporairement l’autorité parentale.
Les recommandations pour la Pratique Clinique émanant de la Haute Autorité de Santé (« comment mieux informer les femmes enceintes » avril 2005) invitent les professionnels à « encourager les femmes à préparer un projet de naissance » et à les informer ;
« Toute intervention médicale pouvant être proposée et réalisée à l'accueil de la parturiente au cours du travail et de l’accouchement. »
L’information doit également porter sur « les risques susceptibles d’avoir une incidence sur la décision de la femme qu’il s’agisse par exemple de la poursuite d’un traitement médical, de la possibilité d’une manœuvre ou de tout autre acte médical susceptible d’intervenir durant la grossesse ou l’accouchement ».
En conclusion : l’urgence ne nous dispense pas d’informer voire de recueillir le consentement des patientes. Cela doit seulement être évoqué en amont afin qu’en cas de survenue d’évènements aussi sévères que soudains. C’est la clé pour assurer le plus possible la pleine compliance des femmes aux décisions médicales.
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